Tony Blair ne pouvait pas s'en douter à l'époque, mais il a ouvert la porte à une surenchère politique de dimension proprement... olympique.

Il y a quatre ans, l'ancien premier ministre britannique a joué un rôle crucial dans la victoire à l'arraché de Londres aux dépens de Paris dans la course aux Jeux d'été de 2012.

L'espace de 48 heures frénétiques, dans une suite d'un hôtel chic de Singapour, sa femme Cherie et lui avaient rencontré individuellement des dizaines de membres du Comité international olympique, dans un ultime effort de séduction au profit de la candidature londonienne.

Au même moment, le président français Jacques Chirac, resté en Europe, se moquait des Britanniques. «On ne peut pas faire confiance à des gens qui cuisinent aussi mal», avait-il dit.

Quand Chirac s'était finalement pointé à Singapour, le jour du vote, il était trop tard. Le travail de sape de Blair avait fait son oeuvre: Londres l'a emporté au quatrième tour de scrutin, récoltant 54 votes contre 50 pour Paris, pourtant grande favorite.

Les chefs d'État ont tiré les leçons qui s'imposent. Deux ans plus tard, la ville russe de Sochi - une station balnéaire de la mer Noire où poussent les palmiers! - a obtenu les Jeux d'hiver de 2014 en grande partie grâce au lobbyisme intensif de Vladimir Poutine.

C'est ce qui explique la présence de Barack Obama à Copenhague, où le CIO choisit aujourd'hui la ville hôtesse des Jeux d'été de 2016. Faisant fi d'un horaire déjà très chargé - la réforme de l'assurance santé et les négociations sur le programme nucléaire iranien, notamment -, le président américain doit arriver ce matin dans la capitale danoise, deux jours après sa femme Michelle, afin de participer à la présentation de la candidature de Chicago devant les 106 membres du CIO.

Le vote oppose Chicago à Rio de Janeiro, Tokyo et Madrid. Et il promet d'être serré. L'éloquence d'Obama ne sera pas de trop pour la délégation américaine. «Le fait qu'Obama se rende à Copenhague va beaucoup aider Chicago, pense le chef de la direction du Comité olympique canadien (COC), Chris Rudge. La candidature aurait souffert de son absence. Cela aurait donné l'impression que les dirigeants américains tenaient la victoire pour acquise.»

L'ancien aspirant républicain à la présidence Mitt Romney, chargé de l'organisation des Jeux d'hiver de Salt Lake City, en 2002, estime pour sa part que «la présence (d'Obama) rend presque certaine la victoire de Chicago».

Rien n'est moins sûr. Certes, la présence du roi Juan Carlos d'Espagne et du premier ministre japonais Yukio Hatoyama ne devrait pas empêcher Madrid et Tokyo d'être rapidement écartées de la course, victimes notamment du principe officieux de la rotation continentale et de la proximité dans le temps des Jeux de Pékin (2008) et de Londres (2012). Mais Rio, par contre, promet d'être un adversaire de taille.

La ville du célèbre Carnaval profite elle aussi du soutien d'un politicien charismatique: le président Luiz Inacio Lula da Silva est à Copenhague depuis mercredi et a rencontré personnellement plusieurs membres du CIO. «Organiser les Jeux ne devrait pas être le privilège exclusif des pays riches, a dit le leader brésilien lors de son passage aux Nations unies, la semaine dernière. Pour les autres pays, ce sont des Jeux olympiques comme tant d'autres. Pour le Brésil, c'est l'occasion de réaffirmer notre identité comme peuple et comme pays.»

Évidemment, les lobbyistes de ses trois rivales ne manquent pas de souligner les problèmes de sécurité de Rio (plus de 2000 meurtres par année). Ce à quoi les Brésiliens rétorquent, à juste titre, qu'aucun pépin n'y a entaché les Jeux panaméricains, en 2007, et que la FIFA n'a pas hésité à leur confier l'organisation de la Coupe du monde de soccer de 2014.

Vieux routier du COC et des coulisses du sport international, le Montréalais Walter Sieber croit que Rio va l'emporter. «Une bonne partie des membres du CIO seront portés à choisir Rio pour ainsi mondialiser les Jeux d'été en les offrant à l'Amérique du Sud, le seul continent avec l'Afrique qui ne les a jamais reçus», dit-il. Ce n'est pas pour rien que Lula a courtisé activement les votes des 15 membres africains du CIO - qui pourraient, cela dit, être sensibles au plaidoyer d'Obama, premier président noir des États-Unis.

Chicago a plusieurs atouts dans son jeu, dont le fait que les revenus de droits de télé et de commandite engrangés par le CIO seront nettement plus élevés si les Jeux ont lieu aux États-Unis. Mais l'histoire pourrait jouer contre la candidature américaine. «Ni Los Angeles (1984) ni Atlanta (1996) ne resteront dans les annales comme des Jeux bien organisés, rappelle M. Sieber. À cela il faut ajouter le scandale (d'achat de votes) des Jeux de Salt Lake City. Beaucoup de membres n'ont pas oublié ces heures très sombres pour le CIO.» Sans parler que certains délégués ne digèrent pas la répartition des droits de télé du CIO, qu'ils jugent exagérément favorable aux États-Unis.

D'où l'importance pour Chicago de la présence d'un orateur aussi redoutable qu'Obama. Mais le charisme ne suffit pas toujours, quoi que puisse suggérer l'exemple de Tony Blair. Souvenons-nous qu'il y a 12 ans, un politicien au faîte de sa popularité avait échoué dans sa tentative d'attirer les Jeux de 2004 dans son pays. Il s'appelait Nelson Mandela...