Avec sa distribution imposante, Game of Thrones peut se permettre de tuer deux ou trois personnages principaux par saison, voire une famille entière (les pauvres Stark!), sans que les fans ne grimpent aux barricades de Port-Réal et sans que la qualité de l'oeuvre n'en souffre atrocement.

Dans les fictions d'ici, quand la Faucheuse passe, et dans des émissions différentes, les téléspectateurs frôlent quasiment la syncope. Rappelez-vous du printemps 2015, où Élise Beaupré (Micheline Lanctôt) d'Unité 9, Suzie Lambert (Marina Orsini) de Lance et compte, Kathleen O'Hara (Maxim Roy) d'O' et Nathalie Lapointe (Macha Grenon) de Nouvelle adresse ont toutes poussé leur dernier soupir télévisuel, à quelques jours d'intervalle.

Le Québec au complet s'est presque tapé une grosse dépression. Et ces morts - fictives, rappelons-le - ont même fait la une du Journal de Montréal. Comme quoi la relation que nous entretenons avec la télévision est passionnelle.

C'était donc peu probable que Marie Lamontagne succombe à sa tentative de suicide dans Unité 9. Pensons-y deux secondes. 

Quel producteur sain d'esprit se débarrasserait de la comédienne la plus chouchoutée de la province? Ça ne se fait tout simplement pas, même si ç'aurait été un des revirements les plus audacieux et risqués de l'automne.

Comment aurions-nous réagi si l'épisode de mardi, vu par 1 640 000 personnes, avait été consacré aux funérailles de l'ancienne présidente du comité des détenues? Si Guylaine Tremblay n'apparaissait plus au générique d'Unité 9, est-ce que les Élise Guilbault, Céline Bonnier, Danielle Proulx et Catherine-Anne Toupin auraient les épaules assez solides pour supporter la série?

On ne tue pas une Marie Lamontagne, parce que c'est le personnage avec lequel nous découvrons l'univers carcéral. Marie Lamontagne, c'est un peu vous, c'est un peu moi. C'est la représentation d'une personne ordinaire, sans antécédent judiciaire, qui est catapultée dans un milieu très dur dont elle ne connaît aucun code.

Mémo rapide aux IPL de Lietteville: surveillez donc les ceintures des vêtements des détenues. Dans la première saison, Shandy Galarneau, alors jouée par Suzanne Clément, avait aussi essayé de se pendre avec la cordelette de la robe de chambre de Suzanne (Céline Bonnier).

Bien hâte de découvrir ce que cache la nouvelle directrice de l'établissement, l'élégante et racée Marie-France Caron (Sophie Prégent), sous ses airs de patronne ouverte, cool et permissive. Cette empathie trop débordante ne sent pas bon. On finit par devenir parano en suivant Unité 9.

On ne tue pas Marie Lamontagne, mais on ne tue pas non plus Samuel et Jacqueline O'Hara (Guy Nadon et Marie Tifo) du téléroman O', qui ont été pris en otage par deux cambrioleurs dans leur propre chalet. Le coup de feu tiré n'a, bien sûr, pas atteint le chef du clan O'Hara, ni sa femme. Nous étions 974 000 accros à attendre le dénouement de cette invasion de domicile.

Là aussi, on s'en doutait. Samuel et Jacqueline forment le ciment de cette famille bourgeoise. Sans eux, tout s'écroulerait. Et Guy Nadon accumule tellement de prix pour ce beau rôle qu'un producteur serait timbré de se priver de son immense talent.

C'est toujours délicat pour un auteur de rayer des intrigues un personnage pivot, que le public adore. L'exemple parfait? Nouvelle adresse à Radio-Canada. 

La journaliste Nathalie Lapointe (Macha Grenon) s'est éteinte à la fin de la deuxième année dans une séquence bouleversante qui nous a arraché des litres de larmes. La saison suivante, son absence s'est cruellement fait sentir et la série de Richard Blaimert ne s'en est jamais remise. On ne tue pas une Nathalie Lapointe.

Aux États-Unis, Game of Thrones a popularisé cette mode que «personne n'est à l'abri» d'une décapitation soudaine, même les plus appréciés des supporteurs. Dans Homeland, l'exécution de Brody (Damian Lewis) a propulsé la série vers ses meilleures saisons. Dans Dexter, le meurtre de Rita Morgan (Julie Benz) a choqué, sans toutefois altérer la qualité du récit. Et dans House of Cards, l'assassinat de la reporter Zoe Barnes (Kate Mara) a déclenché un immense buzz sur les réseaux sociaux.

La mort à la télé sert à tout ça, mais principalement à faire parler d'une série et à relancer des intrigues qui stagnent.

Au Québec, notre attachement aux séries va au-delà du rationnel. Les personnages qui pénètrent dans nos salons, soir après soir, font presque partie de notre famille et leurs interprètes sont beaucoup plus accessibles qu'une star d'Hollywood.

Et quand on aime autant ces gens, gare à celui qui nous privera de leur présence hebdomadaire.