Sérieusement, bonne chance à Stéphane Bellavance et Pénélope McQuade, qui héritent de la mission quasi suicidaire de coanimer la prochaine soirée des Jutra, où la majorité des films en lice ont été boudés par les cinéphiles d'ici.

On a beau prétendre que cette fête du cinéma offrira une vitrine «exceptionnelle» à cette fournée de films d'auteur, si personne ne se plante devant ladite vitrine télévisuelle pour admirer son contenu, à qui servira cet exercice?

En snobant à peu près tout ce qui a fonctionné au box-office, l'académie des Jutra ne s'est vraiment pas aidée et n'a pas non plus aidé son gala, qui risque de subir le même sort que celui des Masques. Ça frôle l'autosabotage.

Même l'Académie des arts et des sciences du cinéma, une organisation plutôt conservatrice, a assoupli et élargi ses critères de sélection pour justement accueillir aux Oscars des films plus commerciaux (quelle horreur!) à la Mad Max ou The Martian aux côtés d'oeuvres dites exigeantes comme The Revenant. Ne me dites pas qu'un tel exercice de compromis est impossible aux Jutra sans travestir l'esprit de la cérémonie ou diminuer la valeur des statuettes. C'est du marketing 101.

Le message que le comité des Jutra envoie aux gens du public ressemble, grosso modo, à celui-ci: les films que vous avez aimés cette année, comme Paul à Québec ou Le mirage (loin d'être des navets, soit dit en passant), eh bien, ils ne sont pas bons. Pas assez, en tout cas, pour mériter une poignée de mises en nomination.

Vous le savez, aller au cinéma coûte de plus en plus cher. Je peux parfaitement comprendre que des cinéphiles, après une grosse semaine de boulot et d'obligations familiales, optent pour un Star Wars au détriment d'un Félix et Meira, par exemple.

On n'a pas nécessairement le goût, par un beau vendredi soir de printemps, de ressortir d'une salle de cinéma avec des idées suicidaires en noir et blanc et en gros plan.

Mais bon. Connecter avec l'audience ne semble pas être une qualité très estimée par la clique des Jutra. Pourtant, c'est le public qui finance tous ces films, bons comme mauvais, pointus comme populaires. Ne l'oublions pas.

Le dévoilement de la liste des finalistes de la prochaine soirée des Jutra a encore creusé le fossé entre les créateurs de longs métrages et les Québécois qui les reçoivent ou les ignorent. C'est un gros problème, que de nombreux puristes refusent de voir.

Par exemple, un des cinq candidats au Jutra du meilleur film, Les démons de Philippe Lesage, n'a été vu que par 1568 acheteurs de billets. Les êtres chers d'Anne Émond n'a accumulé que 7622 entrées.

C'est dommage, mais uniquement en lisant les synopsis (drame familial, désespoir tranquille, catatonie), on se dit qu'on a déjà vu ce film québécois 86 fois dans les cinq dernières années. Et ça ne nous tente pas nécessairement d'avaler, de façon préventive, une poignée d'antidépresseurs avant de passer à la billetterie. Sommes-nous des incultes pour autant? Pas du tout.

En télé, quand une émission se plante dans les cotes d'écoute, ses concepteurs en cherchent la cause et s'ajustent. Le cinéma québécois, qui enchaîne les crises plus rapidement que Marie Lamontagne dans Unité 9, devrait se prêter à cet exercice de post-mortem plus régulièrement.

Chers cinéastes et organismes qui les soutiennent financièrement, variez vos sujets d'étude, un peu. Changez parfois le gris de vos intrigues pour une couleur moins terne. Et sortez-nous de notre propre spleen avant de nous enliser dans celui de vos personnages. Me semble que ce n'est pas trop demander, non?

Ce n'est pas impossible ni incompatible d'allier succès d'estime et recettes au guichet.

Le Mommy de Xavier Dolan a brillamment accompli cet exploit l'an passé. Incendies, Les invasions barbares et C.R.A.Z.Y. aussi.

Il y a aussi une guéguerre de clans aux Jutra. Comment expliquer alors que Ricardo Trogi, quand il est produit par Nicole Robert (1981, 1987), plaît aux votants, mais qu'on l'excommunie quasiment du club des privilégiés quand ce même Ricardo Trogi s'associe à Louis Morissette pour Le mirage?

C'est super plate, je le répète, pour Stéphane Bellavance et Pénélope McQuade. Car l'impression qui se dégage présentement, c'est que la gang des Jutra s'organise un beau party en prévision du 20 mars, un party que nous avons tous payé et auquel nous ne sommes malheureusement pas conviés.