Les étés passés au lac Jo n'ont plus jamais été les mêmes à partir de 1988. Fini les baignades les deux pieds enfoncés dans la vase, entre d'immenses touffes d'algues gluantes et trois perchaudes flottant sur le dos.

En cette année olympique charnière, une piscine flambant neuve est sortie de terre sur le terrain du chalet familial, en «banlieue» d'Inverness. Whoa. Une belle piscine large et profonde avec un deck pour sauter, des canots gonflables multicolores et des nouilles en styromousse pour se fesser dessus, évidemment. Ça servait à quoi d'autre, ces bidules-là?

Pour moi, pas encore ado, mes deux frères, Thierry et Guillaume, ainsi que mes trois cousines Serena, Élise et Émilie, cette piscine, c'était l'équivalent de 43 laissez-passer pour La Ronde.

Marco? Polo! Marcooo? Polooo! Tu triches, t'as ouvert les yeux dans l'eau! Maman, dis à Thierry d'arrêter de me faire des bouillons! Ça, vous l'aurez deviné, c'est moi qui dénonce mon grand frère avec une petite voix fluette extra-agressante. L'eau de la piscine pouvait frôler le point de congélation, il avait beau grêler des balles de golf, tassez-vous, je fais une bombe. Vous avez vu la grâce dans l'exécution?

Avant même l'installation du «bassin» d'eau, comme le surnommaient mes parents, le lac Jo était l'endroit de rêve pour attraper des mouches à feu ou taquiner le crapet-soleil, que l'on entreposait dans de vieux seaux de margarine. Exactement comme dans un film américain du style L'été de mes 11 ans avec un jeune Macaulay Culkin avant qu'il ne se mette à fumer du crack. Vous dire le nombre d'heures passées sur mon BMX jaune et rouge à dévaler les chemins en grosse garnotte, dont la dangereuse côte de la Chapelle, pour évidemment manquer de freins en bas et finir la descente dans un buisson de rosiers. Note aux lecteurs: c'est très beau, des roses, mais ça te magane le devant d'une cuisse assez brutalement. Voir cicatrices encore apparentes.

Au lac Jo, ma marraine, Loulou, nous coupait de généreuses tranches de fromage Princesse tellement frais et moelleux que l'expression consacrée couic-couic ne lui rend vraiment pas justice. Ma mère, Didi, nous servait des Coke bien frettes ou toute autre «petite liqueur douce» pétillante de fin d'après-midi. Mon père, Mo, officiait toujours derrière son gros radiocassette noir. Lucille, Ruby ou The Gambler de Kenny Rogers jouaient en boucle. Beaucoup de Way- lon Jennings et de Willie Nelson, également. La musique country ne s'arrêtait que pour la retransmission en direct des matchs des Expos. Puis Jacques Doucet était inévitablement remplacé par les Highwaymen.

Quand le soleil disparaissait du ciel, mon parrain, Marquis, plantait ses feux d'artifice entre les roches de la berge, nous préparant au plus grand «spectacle pyromusical» de l'histoire du lac Jo. Il ne mentait pas, mon parrain. Les pétards du lac Jo montaient plus haut et éclataient toujours plus fort que ceux de la fête des caisses pop de Thetford Mines.

Au lac Jo, nos parents se mettaient plus «chaudailles» qu'en mode surveillance, mettons. Ce qui permettait à notre petite bande de disparaître pendant des heures sous le soleil brûlant - sans crème solaire - et de s'adonner à quelques mauvais coups. Notre préféré? Faire sonner la cloche de la chapelle à la nuit tombée. Doux Jésus! Qu'on se trouvait rebelles et cool! Moi, particulièrement, avec mon short fluo et mon t-shirt Vuarnet assorti.

Ça sentait toujours bon, au lac Jo. Le cèdre sec qui crépitait dans le feu (toujours allumé dans une vieille cuve de laveuse, bien sûr), les mallows qui grillaient au bout de nos branches et le beurre qui enrobait les épis de maïs encore trop chauds pour être dévorés. Quand il faisait vraiment noir, des milliers d'étoiles s'allumaient au-dessus de nos petites têtes recouvertes de capuchons. J'ai longtemps prétendu avoir vu «plein, plein» d'étoiles filantes comme mes cousines. C'était faux. Je n'ai jamais vu une étoile filante de ma sainte vie. J'y travaille toujours.

Le lac Jo, ça goûtait les popsicles bleus, la réglisse rouge, les crottes au fromage et les framboises fraîchement cueillies là où la route s'arrêtait. Quand il pleuvait trop, on avait la (rare) permission de brancher le Nintendo et de s'amuser avec Dr Mario, Duck Hunt et, notre favori, Super Mario. On pouvait aussi fouiller dans la collection de 45 tours de nos mères et faire tourner sans arrêt La poupée qui fait non des Sultans ou Un garçon en mini-jupe de Karo. Et on passait des heures à apprendre par coeur tous les sketches des Albums du peuple de François Pérusse. Hein, Mona?

La nuit, on s'entassait dans le chalet, bien emmitouflés dans nos sacs de couchage, et on écoutait les parents chanter du Paul Piché et autres classiques du patrimoine familial jusqu'à très, très tard.

Le petit déjeuner à peine avalé, plouf! C'était le grand saut dans notre belle piscine. Autre aveu, ici: malgré mes démentis ultra-convaincants (pas tant que ça), j'ai très souvent ouvert les yeux sous l'eau pendant les parties de Marco Polo. Tout le monde trichait, à Marco Polo. C'était une règle non écrite que tu pouvais, discrètement, t'orienter vers ta prochaine proie.

L'été au lac Jo se finissait officiellement avec le début du Festival du boeuf, un peu avant la fête du Travail, en plein «centre-ville» du village d'Inverness. Avec un défilé, un orchestre et tout le tralala.

Mais avant de quitter le lac Jo, on avait toujours le temps pour une dernière saucette, ouragan ou pas. Marco? Polo! Marcooo? Polooo! T'as triché! Bien oui, j'ai triché. Tout le monde le sait, maintenant.