Les cinéphiles ont boudé les productions québécoises en 2013. Les convaincre de se brancher sur une fête qui célèbre le meilleur de ce qu'ils n'ont pas vu en salle relevait quasiment de l'impossible.

En prévision de ce colossal défi, Pénélope McQuade et Laurent Paquin avaient pourtant bien fait leurs devoirs. Leur vignette de présentation, bourrée d'autodérision, était super drôle. Ils avaient dévoré tous les films et plaidaient, depuis plusieurs jours, la cause du cinéma fabriqué ici.

Par contre, dès que les deux animateurs de ce 16e gala des Jutra ont foulé la scène du Monument-National, leurs camarades de l'industrie, enfoncés dans leurs fauteuils, les ont carrément abandonnés, ne riant presque pas aux gags, malgré des textes honnêtes. L'assistance aux Jutra est toujours la plus difficile à conquérir: glaciale, snob et exigeante. D'ailleurs, avez-vous vu le regard torve de la documentariste Marie-Geneviève Chabot (En attendant le printemps) quand la musique lui a suggéré de conclure son interminable laïus? Pas contente du tout, cette artiste.

Les deux premiers lauréats de la cérémonie ont pourtant été formidables au micro. Guillaume Cyr, alias Horace Barré dans Louis Cyr, meilleur rôle de soutien, a été hyper émouvant dans ses remerciements. «Allez voir nos films en salle. N'attendez pas qu'ils sortent en DVD. Le jour où il va rester juste les Transformers au cinéma, ça va être plate en sacrament», a-t-il imploré.

Peu de temps après, Mélissa Désormeaux-Poulin du film Gabrielle, magnifique dans sa robe blanche griffée Mélissa Nepton, a aussi parlé avec son coeur. Décidément, ce gala annonçait de jolies choses.

Hélas! la soirée diffusée à Radio-Canada s'est gâchée. Le numéro de la comédie musicale sur Louis Cyr baignait dans la confusion et mélangeait maladroitement le cirque traditionnel, la danse folklorique et la chanson Locked Out of Heaven de Bruno Mars. Le lien entre tout ça? On le cherche encore.

Les jeunes acteurs de Boys ont créé un beau malaise avec leur numéro de présentation brouillon pour le Jutra du meilleur montage. Tout de suite après, Laurent Paquin a crié au micro son - trop long - monologue sur la relation trouble entre le cinéma et les humoristes. Aïe, nos pauvres oreilles. Hurler ne rend pas le punch plus rigolo.

L'hommage à Micheline Lanctôt, monté par le réalisateur Jean-Philippe Duval, a été visuellement très réussi. Mais il y manquait un élément majeur: les noms des films dans lesquels cette grande actrice a joué. Il faut penser aux téléspectateurs qui ne connaissent pas son répertoire par coeur.

La trappe sur la scène, placée directement derrière le micro, a bien failli avaler la pauvre Micheline Lanctôt, qui a été sage dans son allocution, alors que le public s'attendait à une sortie enflammée.

Et la crise du cinéma québécois? Quelle crise? Le sujet a été évacué alors qu'il n'aurait fallu que quelques blagues (ou une apparition de Vincent Guzzo) pour faire tomber la tension.

À la place, nous avons eu droit à une série de tapes dans le dos et de supplications. Nos films ont voyagé partout dans le monde! Même Jake Gyllenhaal, Hugh Jackman et Vince Vaughn aiment nos cinéastes! Allez voir nos films, s'il vous plaît!

À la fin de ce très long gala, le sensible et talentueux Antoine Bertrand, sacré meilleur acteur pour Louis Cyr, a fait preuve d'énormément de classe en s'adressant personnellement aux quatre autres nommés. Sa déclaration d'amour à sa copine Catherine-Anne Toupin a été charmante et il m'a arraché des larmes quand il a parlé de sa maman. Touché et sans voix comme nous à la maison, Laurent Paquin a sollicité l'aide de Pénélope McQuade pour poursuivre l'animation. Ce fut le plus beau moment de ces trois heures. Il ferait tout un maître de cérémonie cet Antoine Bertrand.

J'aurais aimé sentir plus de complicité entre les deux coanimateurs, qui ont souvent livré leurs textes chacun de leur côté.

Quant au tapis rouge d'avant-gala, qui a duré 60 minutes, chapeau à tous ceux et à toutes celles qui ont osé défiler en tenue printanière devant les caméras, alors que le mercure plongeait près de 10 degrés sous zéro.

L'illusion du glamour hollywoodien aurait été presque parfaite si a) les attachées de presse n'avaient pas grelotté en permanence en arrière-plan et b) les photographes n'avaient pas tous porté d'épaisses doudounes et de grosses tuques de laine. Même l'animatrice Catherine Beauchamp, qui avait enfilé des gants de cuir, s'était réfugiée sous une fourrure Harricana.

Le mot «frette» a été prononcé aux deux minutes. Au final, ça ressemblait plus à un défilé d'athlètes à Sotchi ou au Red Bull Crashed Ice qu'à une célébration des paillettes et du strass. Vive l'hiver québécois interminable, à qui on voudrait hurler: coupez!