Le petit écran québécois ne nous offre pas une, mais bien deux chroniqueuses télé cet hiver. Laquelle des deux survivrait dans le «vrai monde», pour reprendre une formule chouchou de Réjean Tremblay? Analyse des forces féminines en présence.

Dans le coin gauche se trouve la blonde Anne-Sophie Laverdière (Karen Elkin) de Série noire à Radio-Canada, chroniqueuse télé depuis cinq ans dans un journal ressemblant beaucoup à La Presse. Comme l'a si bien décrit le narrateur Bernard Derome au deuxième épisode: Anne-Sophie aime la télévision originale, audacieuse et intelligente.

Dans le coin droit, il y a la tout aussi blonde Marianne Desbiens (Jacynthe René) des Jeunes loups à TVA, chroniqueuse télé au Matin qui a un faible pour les colliers de perles, les tailleurs Chanel et le téléroman Amour caché.

Après trois épisodes, chacune des chroniqueuses télé a déjà son ennemi juré. Pour Marianne Desbiens, il s'agit de la chef de «punkpitre» Mariepier Renaud (Catherine Bérubé), qui associe la téléréalité à une lobotomie sans anesthésie et pour qui le petit écran ne parle qu'aux vieilles bonnes femmes épaisses.

Pour Anne-Sophie Laverdière, il s'agit de Marc Arcand (excellent Marc Beaupré), le mystérieux et dangereux ninja qui harcèle aussi le scénariste au nez amoché Denis Rondeau (François Létourneau).

Le talon d'Achille de Marianne? Elle couche avec une très bonne source: son mari. Impensable. Plus gros défaut d'Anne-Sophie? Elle ouvre la porte de son condo à des inconnus masqués. Inexcusable.

Plus belle qualité de Marianne: elle ne crache pas sur les phénomènes culturels de masse. Règle générale, les chroniqueurs ont tendance à faire l'équation que «si c'est ultra populaire auprès du grand public, c'est nécessairement quétaine», ce qui n'est pas mon cas. La belle Marianne porte ainsi le discours de son créateur Réjean Tremblay, qui se défend d'écrire pour l'élite, mais bien pour les «gens à la maison».

D'ailleurs, quand Marianne affirme dans Les jeunes loups que «si un million de personnes regardent une émission de télévision, ce ne sont nécessairement pas tous des imbéciles», c'est clairement Réjean Tremblay qui parle à travers elle.

Plus belle qualité d'Anne-Sophie: elle assume ses écrits et ne se défile pas. Quand Denis Rondeau l'apostrophe dans le stationnement au deuxième épisode de Série noire, elle lui tient tête et, plutôt que de se dédire, suggère même au coauteur de La loi de la justice d'embaucher un conseiller juridique.

Et quand Rondeau la nargue: «Je veux juste te dire que c'est pas toi qui vas gagner. Toi, tu penses peut-être que c'est toi qui vas gagner. Mais c'est pas toi qui vas gagner», Anne-Sophie l'ignore avec une belle superbe. Dans le réel, «un tweetfight» vicieux et mesquin aurait éclaté entre le journaliste et le scénariste, qui auraient ensuite fait la paix chez Christiane Charette.

Marianne conduit une Mini Cooper, tandis qu'Anne-Sophie roule en Golf City. Tout ça se tient. Rien de trop clinquant pour le (modeste) salaire de quelqu'un «payé pour regarder la télé». Marianne du Matin (l'équivalent du Journal de Montréal) est Android et Anne-Sophie (plutôt La Presse) est iPhone. Crédible également.

Autant Réjean Tremblay des Jeunes loups que François Létourneau et Jean-François Rivard de Série noire auraient pu dépeindre leur chroniqueuse télé comme une personne aigrie, revancharde, inculte et paresseuse, question de discréditer d'éventuelles mauvaises critiques. Mais non. Les deux personnages sont des femmes intelligentes, passionnées et rusées. Bravo.

Honnêtement, ces deux chroniqueuses fictives se faufileraient facilement dans la jungle médiatico-télévisuelle québécoise. Marianne semble plus au courant des jeux de coulisses de l'industrie, ce qui lui confère une avance sur sa rivale. Anne-Sophie compense par la rigueur de ses analyses.

Par contre, Anne-Sophie de Série noire, qui bosse pour un vieux journal papier, n'a pas négocié le virage numérique aussi bien que sa consoeur du Matin. Avantage Marianne Desbiens des Jeunes loups, finalement. Pense iPad Anne-Sophie, pense iPad. On le fait tous ici.

Les chiffres, maintenant. Série noire est remontée à 454 000 curieux lundi soir, toujours loin derrière Les jeunes loups (1 289 000). En incluant les enregistrements, le premier épisode de la télésérie de Réjean Tremblay a bondi de 1 505 000 à 1 804 000 télévores. Les chiffres augmentés de Série noire n'étaient pas disponibles en début de soirée hier.

Julie et Pierre Karl, bis

Plusieurs lecteurs ont posé la question après la publication de ma chronique de mardi sur la séparation de Julie Snyder et Pierre Karl Péladeau: pourquoi avoir exclu V de l'équation? Tout simplement parce que V ne roule pas sur l'or et n'aurait sans doute pas les moyens de se payer une coûteuse téléréalité comme La voix ou une émission spéciale sur Céline Dion.

Aussi, Julie Snyder anime et invite Céline Dion au Banquier, mais elle ne le produit pas avec sa société. C'est la boîte maison de TVA qui manufacture ce grand jeu boosté aux variétés.

Photo: fournie par Radio-Canada

Karen Elkin de Série noire à Radio-Canada.