Le concept reste à peaufiner et la toute première émission de Prière de ne pas envoyer de fleurs que vous verrez le jeudi 12 janvier à 20h comporte des fausses notes. Mais cet hybride entre un bien-cuit traditionnel et En direct de l'univers risque de nous surprendre, en fonction de l'orientation que son animateur, l'excellent Patrice L'Écuyer, lui donnera.

Cette idée déstabilisante, créée au milieu des années 90 par Pierre Castonguay, ancien réalisateur des émissions de Pierre Nadeau comme Télé-Mag et Format 60, a été refusée par à peu près toutes les chaînes du Québec, et même en France, avant d'être récupérée cette année par la SRC. À l'époque, les réseaux jugeaient morbide et déplacée la notion de préparer la «viande froide» d'une vedette (faussement) morte et d'en rigoler par la suite.

La mécanique a été ajustée plusieurs fois et Jean-Michel Anctil est le premier invité à observer son hommage posthume qui est mené, avec beaucoup de sarcasme et d'humour noir, par Patrice L'Écuyer et une ribambelle de collaborateurs. Prière de ne pas envoyer de fleurs commence toujours de la même façon. À l'image de Six pieds sous terre, on assiste à une mort absurde, tournée comme un petit film. Dans le cas de Jean-Michel Anctil, il se pointe déguisé en clown chez Édith Cochrane qui a une peur bleue des bouffons. Anctil, par un malencontreux hasard, s'effondrera dans la cour arrière de la comédienne. Adios le clown.

C'est ici que son éloge funèbre démarre. Et Jean-Michel Anctil y assiste, en retrait, un peu comme Pierre Bourgault qui a commenté à Infoman, de son vivant, le reportage mis en banque par le service de l'information de Radio-Canada pour le jour de sa mort. Tous les amis d'Anctil parlent de lui au passé. Mais personne dans la foule ni sur la scène du studio 42 de Radio-Canada ne s'adresse directement à lui. N'oubliez pas, l'humoriste est mort. Une caméra et un micro captent cependant toutes ses réactions.

L'oraison débute avec un monologue de Patrice L'Écuyer, un brin longuet, qui souligne les bons et, surtout, les mauvais coups d'Anctil. «Il a vécu en clown, il a péri en clown», souligne l'animateur pince-sans-rire.

Peter MacLeod viendra ensuite parler de sa relation étrange avec Priscilla, un des personnages les plus connus créés par Anctil. Très drôle. Tout au long de l'émission, André Robitaille jouera au défunt un tour assez chien, merci, qui se déploiera en plusieurs parties. Indices? Vaseline et BMW.

Quand les BB se pointent sur scène pour interpréter une version humoristique de Tu ne sauras jamais, on décroche. Mettons que c'est le segment le plus faible - et de loin - de cette heure. Martin Petit rachète ce mauvais intermède en livrant un texte rempli d'ironie et de gags décapants sur la vie de drogué et de déviant de Jean-Michel Anctil. Un des moments forts de la célébration. Ça et le numéro de danse contemporaine inspiré par les mouvements de Rateau, le personnage d'hurluberlu aux dents pourries et au casque d'aviateur en cuir.

Et attendez de voir ce que ça donne quand Jean-Michel Anctil se prend pour un peintre. Ses tableaux - des paysages d'hiver naïfs - sont franchement laids. Bon joueur, le populaire humoriste rit de bon coeur tout au long de l'émission. Il versera même quelques larmes quand son papa Jean-Guy viendra lui tirer la pipe.

À l'animation, Patrice L'Écuyer renoue avec un format lui permettant d'exprimer (enfin) son côté caustique et comique. Et ça fait du bien de le voir évoluer dans un contexte moins contraignant que celui d'un quiz, qui laisse peu de place à la fantaisie et à l'improvisation.

Côté décor, pas de couronnes de fleurs ou de cercueils chez L'Écuyer. Le grand plateau ne ressemble pas du tout à un salon funéraire, mais plutôt à un grand show de variétés coloré et vivant. À la deuxième émission, la production a demandé aux spectateurs de s'habiller comme s'ils assistaient à de vraies obsèques. L'effet est saisissant, nous assure-t-on.

L'hiver dernier, Radio-Canada prévoyait diffuser Qui aime bien, une émission classique de bien-cuit à la Club sandwich chapeautée par Normand Brathwaite. Hier midi, les patrons de la SRC ont annoncé que ce projet avait avorté en raison d'une chicane interne à la maison de production Fair-Play.

La ligne est mince entre ce qui est drôle et ce qui est déplacé dans un projet comme Prière de ne pas envoyer de fleurs. Pour l'instant, le bon goût est de mise. Pour éviter des situations embarrassantes, les 13 premiers invités sélectionnés sont relativement jeunes et ne risquent pas de mourir dans la prochaine année: Guy A. Lepage, Sylvie Moreau, Michel Barrette, Véronique Cloutier, Éric Salvail et France Castel y participeront, entre autres.

Non, l'émission Prière de ne pas envoyer de fleurs n'est pas parfaite. Faudra travailler notamment le rythme des segments. Reste que le potentiel est très intéressant. Prière de ne pas enterrer cette émission tout de suite, merci.