Ne m'appelez et ne me textez surtout pas les mardis à 20h cet hiver. Silence! Car je fouillerai frénétiquement, avec des centaines de milliers d'autres amateurs de télévision intelligente, dans les secrets de la famille tordue d'Apparences, le nouveau suspense psychologique du brillant dramaturge Serge Boucher, créateur de la fascinante série Aveux.

Les deux premiers épisodes m'ont cloué sur ma chaise. Comme dans Aveux, mais en empruntant un rythme plus lent, les personnages complexes d'Apparences se révèlent au compte-gouttes et baignent constamment dans des zones grises. En apparence, comme le titre de la série l'indique, la famille Bérubé semble plutôt unie et harmonieuse, mais en grattant un peu, on découvre une dynamique dysfonctionnelle.

Au coeur de l'intrigue, Serge Boucher a planté des jumelles, soit les soeurs Manon (Myriam LeBlanc) et Nathalie (Geneviève Brouillette). Manon Bérubé enseigne au primaire et mène une vie de «vieille fille» très ordinaire, rangée et morne. Elle ne sort jamais, ne boit pas et ses collègues professeurs la soupçonnent même d'être lesbienne parce qu'elle n'a jamais d'homme dans sa vie. Elle forme quasiment un vieux couple avec sa mère veuve.

Complètement à l'opposé, Nathalie Bérubé est une comédienne hyper populaire à la télévision, elle fréquente un homme plus jeune (Vincent-Guillaume Otis) et habite un magnifique condo moderne à Montréal. La première envie l'autre. La seconde s'en sert, plus ou moins consciemment, comme faire-valoir. Mais leur lien gémellaire reste toujours très fort. «Ma soeur, c'est toute ma vie», répète Manon sur un ton peu convaincant.

Le jour des 40 ans des jumelles, Manon disparaît. Comme ça, sans avertir. La toute première scène d'Apparences donne exactement le ton mystérieux et angoissant de la série. Une dame, que l'on devine être Manon, enfile une robe de bal, empoigne une valise vintage et une perruque, puis quitte la chambre d'hôtel. Quelques secondes plus tard, sa voiture s'enlise dans la bouette et un inconnu à bottes noires s'approche d'elle. Écran noir. Que s'est-il passé pour que Manon en arrive là?

Le départ de Manon déclenchera une série de réactions imprévues et de questionnements à la chaîne chez les Bérubé, à commencer par la matriarche (excellente Nicole Leblanc), qui se réfugiera dans la religion pour essayer de comprendre le drame.

Et c'est précisément ici que Serge Boucher excelle: dans le dévoilement de la vraie nature des protagonistes ainsi que dans l'explication de leurs agissements. Boucher, avec son écriture sensible, nous rappelle constamment que les boulets du passé, on les traîne pratiquement toute sa vie. La réinvention a ses limites, des limites balisées par des secrets enfouis très loin.

Autour des soeurs Bérubé se greffent leurs deux frères: l'aîné, Gaétan (Alexis Martin), et le benjamin, Benoit (Daniel Parent). Gaétan est maniaco-dépressif, toxicomane et dépendant de l'aide sociale. Manon-la-disparue a toujours été très proche de lui. Quant à Benoit, c'est un être rigide, sec et autoritaire, qui s'astreint à un rythme de vie soviétique de champion de biathlon. Son fils Henri, le filleul de Manon, est autiste et il pourrait détenir de précieuses informations.

Le soir où Manon s'est volatilisée, Gaétan a fugué de son centre de désintox et Benoit est réapparu avec une blessure au bras, à propos de laquelle il mentira aux policiers. Les deux frères aux caractères diamétralement opposés cacheraient-ils, eux aussi, quelque chose? Connaît-on vraiment les membres qui composent une famille? Le scénariste Serge Boucher adore le concept de la double identité, n'oubliez pas ce détail.

C'est l'enquêteur Jean-Denis Desrosiers (Benoit Gouin) qui, comme nous, les téléspectateurs, assemblera toutes les pièces du puzzle au fil des dix épisodes. La plupart du temps, les clés de l'énigme nous apparaissent sous forme de flashback. Ce n'est pas précisé dans le texte, mais Apparences se déroule dans une ville non identifiée qui pourrait autant être Sorel que Saint-Jean-sur-Richelieu.

Autre grande force de l'auteur Serge Boucher: le réalisme dans ses dialogues, qui sonnent plus vrais que nature. On croirait quasiment espionner de vraies personnes dans leur vraie intimité tellement les conversations coulent de source. Les décors, que l'on jurerait sortis de 1995 dans le cas de l'appartement de Manon, ajoutent énormément à la crédibilité du récit.

Le choix des actrices pour incarner les jumelles Bérubé, Myriam LeBlanc et Geneviève Brouillette, est parfait. Premièrement, elles se ressemblent physiquement. Ensuite, on détecte au premier regard la complexité du lien les unissant. Ce sont d'ailleurs les deux seules comédiennes que le réalisateur Francis Leclerc a passées en audition. Et cela fait du bien de voir Geneviève Brouillette dans un rôle moins comique, plus dramatique.

La SRC est tellement satisfaite du produit qu'elle a commandé une troisième série à Serge Boucher, qui portera le titre d'Autopsie. On reste donc dans les A: Aveux, Apparences et Autopsie.

Apparences se dévoilera les mardis à Radio-Canada à partir du 10 janvier. Les mercredis matin, exactement comme à l'époque d'Aveux, nous serons sans doute plusieurs à jaser près de la machine à café: coudonc, qu'est-ce qui a bien pu se passer dans cette famille-là?