La conclusion du documentaire Le jeu de la mort, que diffusera Canal D dimanche à 19 h, est grosse comme un camion: la télévision peut, sans contestation, organiser dès demain la mise à mort d'un individu en guise de divertissement. Hé-ho, les amis, on se calme le pompon ici.

Lors de sa sortie québécoise en septembre 2010, ce film-choc de près de deux heures du Français Christophe Nick avait provoqué tout un boucan, notamment en raison de son ton volontairement alarmiste et sensationnaliste. «Ce que nous allons regarder est extrêmement dur», avertit le narrateur en ouverture. D'accord. Mais faut-il gober tout ce que Christophe Nick nous enfonce dans la gorge à coups de formules coup de poing comme «à quand le jeu de la mort en prime time?» Non.

Ce Jeu de la mort, c'est en fait l'actualisation en 2010 d'une fascinante expérience psychologique conduite à l'Université Yale entre 1960 et 1963, la célèbre expérience de Stanley Milgram. La conclusion des travaux de Milgram? Lorsque soumis à une forme d'autorité qu'il juge crédible, un homme peut commettre les pires atrocités. Du genre: faire souffrir monstrueusement un collègue pour des broutilles.

Concrètement, l'expérience de Milgram se déroulait comme ceci: un cobaye infligeait des décharges électriques de plus en plus violentes à un concurrent - qu'il ne voyait pas - toutes les fois où il donnait une mauvaise réponse à un questionnaire. Très minimes au départ, les chocs atteignaient à la toute fin un niveau jugé extrêmement dangereux.

Le cobaye entendait les cris de supplication du concurrent, mais ne les écoutait pas, encouragé à poursuivre par le scientifique menant l'expérience. Évidemment, le concurrent recevant les décharges était un comédien. Milgram voulait découvrir si les cobayes craqueraient en entendant les hurlements de douleur de plus en plus intenses du (faux) concurrent. Eh bien non: 62 % des cobayes ont infligé la plus forte décharge, qui aurait pu être mortelle dans la «vraie» vie.

Pour son film, Christophe Nick a recréé l'expérience de Milgram, mais sous forme de jeu télévisé appelé La zone extrême. Quatre-vingts cobayes ont été recrutés partout en France pour y jouer. Tous savaient qu'il s'agissait d'une émission pilote et qu'ils n'y gagneraient pas un seul euro. Sous les ordres d'une animatrice autoritaire (Tanya Young), ils posent des questions à un concurrent-comédien appelé Jean-Paul. Le joueur cobaye, planté au centre d'un immense plateau de télévision, ne voit jamais Jean-Paul et ne sait pas que c'est un acteur, mais entend chacun de ses gémissements. Quand Jean-Paul rate, le cobaye actionne une manette envoyant une décharge électrique. Le premier choc démarre à 20 volts et augmente par tranche de 20.

Au début, les joueurs rigolent nerveusement en entendant Jean-Paul se lamenter. Mais plus le jeu progresse, plus le malaise s'installe. Quand les participants questionnent la légitimité de ce jeu-questionnaire barbare, l'animatrice insiste: «Vous devez continuer, c'est la règle, c'est la logique.» Et ils continuent. Dans l'assistance, remplie de gens ne sachant pas tous qu'ils assistent à une expérience scientifique, personne ne se révolte. Personne ne quitte le studio.

«C'est inhumain», glisse un des concurrents. «J'ai l'impression d'être sadique», dira un autre, tout en actionnant la manette.

L'escalade du niveau de cruauté est stupéfiante. À 80 volts, presque tous les cobayes ricanent nerveusement. À 180 volts, ils savent que Jean-Paul désire arrêter de jouer. Sauf qu'ils poursuivent la torture, sous la pression de l'animatrice qui leur répète que la production «assume toutes les conséquences» de cette Zone extrême. Seulement 16 cobayes ont lâché en cours de route, incapables d'infliger autant de souffrances à un inconnu.

Par contre, 80 % des cobayes se rendront jusqu'à la décharge finale de plus de 400 volts, comparativement aux 62 % obtenus par Milgram. Pourquoi?

C'est ici que ça se gâche. Si la première partie du documentaire nous captive, la deuxième nous assomme de propos mal étoffés sur le pouvoir terrifiant de la télévision, sur notre degré de soumission collective ou sur le totalitarisme tranquille qui gère nos vies. Encore ici, comme dirait un acteur connu dans une vidéo contre le gaz de schiste: wô.

Après la diffusion du Jeu de la mort sur la chaîne France 2 en mars 2010, les méthodes du documentariste Christophe Nick ont été contestées publiquement. Et certains participants ont même affirmé qu'ils savaient, dès le départ, que tout était faux.

Il faut donc en prendre (un peu) et en laisser (beaucoup). Conseil: regardez la première heure et changez de poste ensuite pour le retour de Tout le monde en parle à la SRC.

Photo: fournie par Métropole Films

Une scène du Jeu de la mort.