C'est quasiment une bonne chose que l'Écossaise Susan Boyle - SuBo pour les intimes - n'ait pas triomphé à Britain's Got Talent, dont la grande finale a été diffusée samedi soir sur les ondes de la chaîne ITV. C'est la troupe de danse hip-hop Diversity qui a plutôt été couronnée.

Visiblement, la pression médiatique monstrueuse et les tabloïds voraces ont usé et fait craquer cette «vieille fille à la voix d'ange» âgée de 48 ans, dont l'histoire de vilain petit canard a touché des millions et des millions de téléspectateurs. Malheureusement, le vent a tourné. Aussi rapidement qu'avait été rapide l'ascension de cette dame hirsute et solitaire, qui a tout de même terminé bonne deuxième.

Pendant les sept jours qui ont précédé cette finale télévisuelle suivie partout sur la planète, Susan Boyle a montré qu'elle vivait très mal avec sa célébrité instantanée. D'abord, elle a menacé plusieurs fois de quitter la compétition, elle a pleuré de façon hystérique, elle a injurié deux fans qui se moquaient d'elle dans le hall de son hôtel du nord de Londres (la police a même été appelée) et elle a sacré - un solide fuck off - devant un écran plasma qui retransmettait le tour de chant d'un de ses rivaux, le jeune Shaheen Jafargholi, 12 ans, qui a soufflé les spectateurs avec une version endiablée de And I'm Telling You, puisée dans la comédie musicale Dreamgirls.

Imaginez: insulter un enfant de 12 ans quand on a quatre fois son âge, ça ne vole pas très haut. Le Sun de Londres l'a même rebaptisée «Ramboyle» en raison de ses accès de colère. C'est triste. Mais en même temps, personne ne sait ce qui trotte dans la tête de SuBo, qui a probablement connu la montée la plus fulgurante de toute l'histoire de la culture populaire sans avoir un réseau d'amis et une famille pour l'épauler et la guider dans cette épopée étourdissante. Difficile, alors, de garder ses pieds bien ancrés au sol.

Et n'oubliez pas. Avant le 11 avril dernier, Susan Boyle, qui a manqué d'oxygène à sa naissance, vivait seule avec son chat Pebbles, dans l'anonymat le plus complet à Blackburn, un pauvre et minuscule village à l'ouest d'Edimbourg. Son surnom? «Susie Simple». Simple comme dans l'idiote, la folle du village. Sa seule sortie? Le bar karaoké, où elle sirotait des limonades.

Puis, sa version émouvante de I Dreamed a Dream, qui collait parfaitement à sa propre histoire, a enflammé la planète et son conte de fées a été propulsé par YouTube, Facebook et Twitter. Tous les bonzes du showbiz - Larry King, Oprah Winfrey, nommez-les - l'ont interviewée. Il y a de quoi perdre les pédales et péter un plomb ou deux.

Dans l'émission de samedi, Susan Boyle, vêtue d'une robe gris métallique très laide, a de nouveau fredonné I Dreamed a Dream, extraite de la comédie musicale Les Misérables, sa pièce porte-bonheur des auditions. Elle n'a pas faussé, mais son interprétation, appuyée par des mouvements de bras et de tête très maladroits, manquait de naturel. Comme si l'Écossaise essayait de copier une «vraie» chanteuse en empruntant une gestuelle scénique qui n'est pas la sienne. Bref, la magie n'opérait plus.

D'un seul bond, les trois juges l'ont pourtant arrosée de compliments. «C'est la meilleure performance de toute l'histoire de Britain's Got Talent», s'est enthousiasmé Piers Morgan. À ses côtés, Amanda Holden a enchaîné: «Je n'ai jamais entendu autant de puissance et de confiance.» Puis, le méchant Simon Cowell: «Tu as eu le courage de revenir ici ce soir pour affronter tes détracteurs et leur prouver qu'ils avaient tort.»

À l'annonce des résultats, Susan Boyle a été très gracieuse, soufflant que les meilleurs avaient gagné, soit la troupe Diversity. Leur prix: 250 000$ et une chance de danser devant la reine Élisabeth II.

Cette défaite est sans doute ce qui pouvait arriver de mieux à Susan Boyle. Elle pourra maintenant souffler et reprendre sa vie à l'extérieur du tourbillon qui l'a happée. Et probablement qu'une tournée mondiale, donc encore plus d'attention médiatique, lui aurait sapé ses dernières parcelles de bonne humeur et de candeur.

Bien sûr, elle lancera sûrement un disque. Mais à son rythme. Sans qu'une compagnie de relations publiques lui dicte son habillement ou les réponses à fournir en entrevue.

Déjà, lors des demi-finales, la Susan Boyle qui a chanté Memory ne ressemblait plus à la Susan Boyle du départ. Ses cheveux gris avaient été camouflés par une teinture chocolat. Ses sourcils broussailleux avaient été domptés. Et ses robes de paysanne avaient été remisées au fond de la penderie.

En fait, c'est la Susan Boyle vintage qui aurait dû gagner Britain's Got Talent. Sauf que cette femme n'existe plus, et jamais plus elle n'existera.