Réglons une chose en partant : Oui, Tiger Woods a triché. Et c'est lui même qui l'a admis dans le cadre d'une entrevue accordée immédiatement après sa ronde de vendredi. Tiger s'est incriminé en convenant avoir laissé tomber la balle qu'il mettait en jeu quelques verges derrière le point d'impact initial où il devait le faire comme l'impose le règlement (26-1-a).

Tiger Woods n'a pas triché sciemment. C'est évident. Et bien que le Tigre et ses défenseurs insistent sur le fait qu'il ait plutôt commis une erreur de bonne foi, le résultat est le même : il a triché. C'est pour cette raison qu'il a écopé la pénalité (deux coups) imposée par le Comité de compétition du Tournoi des Maîtres pour avoir frappé une balle au mauvais endroit sur le terrain (règle 20-7).

Cette sanction a réglé la portion facile du dossier.

La portion beaucoup plus difficile était de savoir si Woods avait triché une deuxième fois en signant une carte erronée. Un geste qui aurait dû n'entraîner rien de moins que sa disqualification.

Si un officiel lui avait signalé la remise en jeu illégale de sa balle au 15e trou et l'erreur inscrite sur sa carte de pointage avant qu'il ne la signe, Tiger Woods l'aurait corrigée. Il aurait effacé le six pour le remplacer par un huit sans autre conséquence.

Mais parce qu'un golfeur ne peut invoquer la non-intervention d'un officiel, l'ignorance ou l'incompréhension d'un règlement pour justifier l'inscription d'un mauvais pointage et donc la signature d'une carte erronée, le nom de Woods aurait automatiquement dû être rayé de la liste des 61 joueurs inscrits aux deux rondes finales.

Absolution controversée

Pourquoi alors a-t-il amorcé sa troisième ronde à 13 h 45 samedi comme prévu? Pourquoi aura-t-il la chance de combler l'écart de quatre coups qui le sépare des meneurs Brandt Snedeker et Angel Cabrera encore cet après-midi?

Parce que le directeur du Comité du Tournoi des Maîtres, Fred Ridley a pris la décision d'offrir au joueur vedette une absolution qui a soulevé beaucoup de controverse à Augusta et aux quatre coins de la planète golf.

Attention! Car ici ça devient flou.

S'il est indéniable que Woods a signé une carte erronée, Fred Ridley considère que la responsabilité de Tiger est annulée par le fait que le Comité a jugé, lors de l'étude initiale du jeu controversé dès vendredi après-midi, qu'il n'y avait pas matière à pénalité.

«Je considère qu'il aurait été grossièrement injuste de disqualifier Tiger pour une infraction que nous avions déjà rejetée», a commenté le membre influent du Augusta National.

Fred Ridley s'est donc prévalu d'un nouveau règlement (33-7) adopté il y a deux ans et a utilisé le pouvoir discrétionnaire qu'il lui confère pour ne pas disqualifier Woods.

C'est là où je ne suis pas d'accord.

Que Fred Ridley et les membres de son comité prennent une partie ou tout le blâme dans cette affaire, je veux bien. Après tout, un tournoi aussi prestigieux que le Masters devrait s'assurer d'avoir un officiel présent avec chaque groupe en tout temps. Ce qui n'est pas le cas. Ce qui le deviendra sans doute.

Mais Tiger Woods ne peut être absous de tout non plus. Il s'est offert illégalement un positionnement favorable lors d'une remise en jeu. Il a signé une carte erronée. Il aurait donc dû être disqualifié.

La décision de lui épargner cette sanction marquera le 77e Tournoi des Maîtres autant, sinon plus, que le nom de celui qui enfilera le veston vert. À moins que ce soit Tiger lui-même. Ou le Chinois Tianlang Guan qui a joué 77 hier, mais qui est déjà assuré du trophée réservé au meilleur joueur amateur du Tournoi.

Au fait : pourquoi l'adolescent de 14 ans n'a pu compter sur le même genre de clémence vendredi lorsqu'il a écopé un coup de pénalité pour son jeu lent?

C'est en plein le genre de question plate, de critiques et de controverses soulevées par l'impression de favoritisme laissée par la non-disqualication du Tigre.

«Je n'ai pas de contrôle sur les interprétations que les amateurs feront de notre décision, mais nous avons consulté les responsables des différents organismes qui gèrent notre sport (USGA, R&A, PGA) et nous sommes tous convaincus d'avoir pris la bonne décision», a conclu Ridley.

La tête en paix

Les dirigeants du Tournoi des Maîtres avaient le droit de ne pas disqualifier Woods. La règle est claire. Mais elle contrevient à l'esprit de fair-play du golf dont l'histoire est marquée de disqualifications imposées, mais aussi personnelles en raison d'accrocs, même mineurs, aux règlements qui sont, il est vrai, parfois tordus au golf.

En quête d'un premier titre majeur depuis 2008, d'un quinzième en carrière et d'un cinquième veston vert, je comprends donc facilement Tiger Woods d'avoir balayé du revers de la main les invitations à déclarer forfait.

Mais par respect pour son sport, pour Augusta et le Tournoi des Maîtres, pour endiguer le Tigergate et pour sa propre image également, je crois sincèrement qu'il aurait dû déclarer forfait.

Si j'étais seul à croire au bien-fondé d'un tel geste, je garderais cette impression pour moi. Mais quand un joueur aussi important dans l'histoire du golf que Greg Norman assure que Tiger Woods aurait dû quitter le terrain de lui-même, ça donne du poids à mes prétentions.

Et non! Je ne crois pas que Norman ait lancé cette condamnation simplement pour améliorer les chances de ses compatriotes Jason Day, Marc Leishman, Adam Scott de devenir le premier Australien à enfiler un veston vert.

Cela dit, la réaction des milliers de spectateurs massés autour des tertres de départ et des verts lorsque Tiger passait devant eux et les encouragements continus de ceux qui le suivaient au cours de sa ronde donnaient raison à Woods d'avoir pris le départ et au comité de ne pas l'avoir disqualifié. Car si plusieurs journalistes - surtout ceux venus d'outre atlantique - vociféraient contre la décision favorable à Tiger, les fans eux étaient visiblement et auditivement tous rangés derrière lui.

Tiger saura-t-il les remercier aujourd'hui avec une remontée dont lui seul a le secret? La réponse viendra à compter de 14 h 10 alors que le Tigre amorcera sa dernière ronde.