Le paradis existe. Je peux vous l'assurer, car j'y ai mis les pieds pas plus tard qu'hier après-midi. Je me suis retrouvé au paradis dès l'instant où j'ai franchi la barrière du célèbre club de golf Augusta National, dans le nord de la Géorgie. Et le plus beau dans tout ça? J'y retourne encore aujourd'hui. J'y serai également demain pour la compétition des normales trois et tous les jours jusqu'à dimanche lorsque le 77e vainqueur du Tournoi des Maîtres enfilera le traditionnel veston vert.

Si c'est beau, le paradis? Mettez-en que c'est beau! Plus beau encore que je l'imaginais. Et la barre était haute. Très haute, même. Mais attention! Ceux qui prétendent que tout est blanc au paradis vous content des histoires. Car le paradis, il est vert. D'un vert tellement parfait et uniforme qu'on jurerait que les centaines d'employés responsables de l'entretien du mythique terrain ont offert un coup de main à la nature en donnant un coup de pinceau sur chacun des brins d'herbe.

«Ça me surprendrait», m'a répliqué une dame de Lévis que j'ai croisée entre le tertre de départ du 8e trou et le vert du 17e. «Les semelles de mes souliers sont propres et mon pantalon est encore beige, même si je me suis assise par terre plus tôt ce matin [hier], alors que le gazon était mouillé», a-t-elle ajouté pour compléter sa plaidoirie à laquelle je n'ai pas répliqué.

La passion a pris le dessus

Pourquoi je n'ai pas répliqué? Et au fait, comment s'appellent cette dame et les amis avec qui elle visitait elle aussi le paradis? Pas la moindre idée.

Car après avoir joué cent, mille, cent mille fois à Augusta dans mes rêves, après y avoir même gagné une fois ou deux le «Masters» dans mes rêves les plus fous, j'étais tellement chaviré par les émotions de me retrouver là où j'étais allé si souvent sans vraiment y être que le travail a pris le bord pendant les quelques heures passées sur le terrain.

Pas question de prétendre que tout est parfait au paradis. Car bien que les bonzes de l'Augusta National aient ouvert les portes l'an dernier à leurs deux premières membres féminines en Condoleezza Rice, l'ancienne secrétaire d'État américaine qui a d'ailleurs disputé une ronde d'entraînement avec Phil Mickelson dimanche, et Darla Moore, une influente femme d'affaires de la Caroline-du-Sud, ils portent encore le poids de politiques internes désolantes qui ont valu des tas de critiques, voire des accusations de racisme à l'endroit des membres de ce club sélect. Car en plus d'attendre jusqu'en 2012 avant d'accueillir leurs premières membres, ils ont attendu jusqu'en 1990 avant d'ouvrir les portes de leur «club-house» à un Noir.

Ce qui n'a aucun sens!

Mais hier, ce n'est pas le journaliste qui a marché les 18 trous dans l'ordre avant de retourner faire une petite prière à Amen Corner alors que Tiger Woods négociait, avec Dustin Johnson et Tianlang Guan, les 11e, 12e et 13e trous dans le cadre d'une ronde d'entraînement.

C'est le golfeur. Un golfeur animé par toute la passion - qui vire des fois à la folie - d'être là où se sont déroulés quelques-uns des plus beaux faits saillants de l'histoire de ce sport qui devient un art lorsqu'il est pratiqué sur un terrain et des verts aussi difficiles que ceux d'Augusta.

Exploits et catastrophes

Quand je me suis arrêté près du 16e trou, j'avais le sourire aux lèvres. Comme les milliers de spectateurs autour de cette normale 3, j'applaudissais les meilleurs golfeurs du monde qui épataient la galerie en tentant, bien sûr, de loger leur balle sur le vert, mais en les faisant ricocher le plus souvent possible sur la surface du petit lac. Un lac qui a mis un terme à plein de rêves de victoire au fil des ans.

J'avais aussi bien en tête la voix de Verne Lundquist qui, en 1986, a salué d'un «Yes, Sir!» passé à l'histoire un coup roulé crucial calé par Jack Nicklaus qui était alors en route vers sa sixième et dernière victoire au Tournoi des Maîtres. Difficile également d'oublier la publicité que Tiger a offerte à Nike en 2005 lorsque sa balle s'est immobilisée pendant une ou deux secondes avant de plonger dans la coupe.

Au 13e, j'ai revu toutes ces balles qui ont terminé leur envolée dans le petit ruisseau - Rae's Creek - alors que les joueurs tentaient d'atteindre cette normale cinq en deux coups. Mais j'ai surtout revu le coup majestueux de Phil Mickelson en 2010. À l'aide d'un fer 6, «Phil the Thrill» a parfaitement frappé une balle qui reposait sur des brindilles de pin pour atteindre le vert en deux coups et consolider une avance qui lui a permis de remporter son troisième Tournoi des Maîtres. Ce coup a tellement marqué la carrière de Mickelson et ce prestigieux tournoi qu'un petit drapeau guidait les curieux en quête de l'endroit précis où le coup avait été exécuté.

Les fans étaient aussi nombreux dans le bois à la droite de l'allée du 10e trou. À l'endroit où Bubba Watson a frappé un coup d'approche défiant les lois de la physique pour gagner son premier titre majeur l'an dernier, en prolongation, aux dépens de Louis Oosthuizen.

Et comment oublier la victoire de Fred Couples en 1992? Bon! On peut oublier l'année. Mais personne n'a oublié la balle qui s'est arrêtée tout juste avant de plonger à l'eau après avoir dévalé la pente abrupte devant le vert de cette normale 3 terrifiante. Un miracle qui a permis à Couples d'obtenir une place de choix au paradis.

C'est justement parce que chacun des 18 trous a ses histoires marquées de coups éclatants et de catastrophes désolantes, parce qu'ils offrent tous un spectacle d'une saisissante beauté avec un relief beaucoup plus accentué que ne le laisse croire la télévision et les couleurs riches du gazon et des milliers de fleurs qui bordent les allées, que le Tournoi des Maîtres est ce qu'il est: le plus mythique des quatre tournois majeurs.

Que l'Augusta National est le paradis. Ou ce qui s'en approche le plus.

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LE CHIFFRE DES MAÎTRES

14: À 14 ans, le Chinois Tianlang Guan est le plus jeune golfeur de l'histoire du Tournoi des Maîtres. Guan n'était pas né lorsque son idole de jeunesse Tiger Woods, avec qui il a disputé une ronde de pratique hier, a enfilé son premier veston vert en 1997.

Photo Don Emmert, AFP

Tianlang Guan