C'était le 21 janvier. Peut-être le 22. Le camp d'entraînement du Canadien battait son plein. Michel «pas le temps de niaiser» Therrien distribuait en rafale des directives que ses joueurs appliquaient à la lettre devant quelques milliers d'amateurs massés le long des baies vitrées du Centre d'entraînement de Brossard.

Assis à ma droite, sur la galerie de presse qui surplombe la patinoire, Jacques Martin jetait un oeil sur ce qui se déroulait sur la glace. Il griffonnait ensuite des notes en marge de la liste des joueurs présents au camp.

«Avec Markov de retour, en santé, avec Prust, Bouillon et le caractère que Marc Bergevin a ajouté au cours de l'été, avec les jeunes Gallagher et Galchenyuk qui poussent dans le dos des autres et avec Michel qui est un très bon entraîneur, le Canadien va être meilleur que tu le crois», m'avait lancé Martin.

- Comme tu es sur la liste de paye jusqu'à la fin de l'année, je serais bien surpris que tu plantes le club qui te paye, avais-je aussitôt répliqué.

Si je ne le connaissais pas depuis si longtemps, j'aurais ajouté que cette déclaration de Martin était aussi très bien calculée puisqu'elle forçait son successeur à connaître du succès. Mais ce n'est pas son genre. Vraiment pas.

«Regarde la profondeur de l'alignement. S'il est épargné par les blessures, Michel pourra composer trois bons trios. Peut-être quatre. Il aura de la vitesse et du caractère. Dès que P.K. (Subban) signera, il complétera une défensive solide aussi», m'assurait l'ancien coach en composant ses trios au bas de sa feuille.

On a beau être amis, il a beau m'avoir beaucoup appris sur la façon de regarder un match de hockey, de l'analyser, j'étais loin de partager l'enthousiasme de Jacques Martin. Il était donc hors de question de changer mes prédictions qui excluaient le Canadien des séries malgré toutes les surprises envisageables dans le cadre d'un calendrier écourté.

De dernier à premier

Après le premier match, un match lamentable que le Canadien a perdu 2-1 aux mains des Leafs de Toronto, que pas grand monde considérait comme un club de séries, je riais dans ma barbe: Dieu que j'avais bien fait d'être sceptique.

À la mi-saison, ce sont Jacques Martin et tous ceux qui ont cru, sérieusement, par partisanerie ou encore par pure folie - oui celle-là est pour toi Réjean... -, que le Canadien formait une bonne équipe qui rient à gorge déployée.

Après avoir disputé ses 24 premiers matchs, le Canadien ne file pas simplement vers une place en séries éliminatoires après avoir terminé la dernière saison au 15e et dernier rang dans l'Est, au 27e rang du classement général. Non, le Canadien est toujours premier de l'Association de l'Est.

Après 10 matchs, on pouvait parler d'un brin ou deux de chance. Après 15 matchs, on pouvait parler d'une surprise. D'une grosse et belle surprise.

Après 24 matchs, on n'a plus le droit de parler de chance. De surprise. On doit parler d'exploit.

Un exploit parce que le Canadien est toujours premier - une place sérieusement disputée par les Bruins qui ont toutefois trois matchs en main sur lui - en dépit du fait qu'il a échappé des points précieux en bousillant des avances en troisième période.

Un exploit parce que Carey Price n'a pas été le superhéros que les partisans attendent tous les soirs devant le filet de leur équipe préférée.

Un exploit parce que l'indiscipline a coûté au moins deux matchs au Tricolore.

Un exploit parce qu'avant la surdose d'énergie absorbée lors du but chanceux de Max Pacioretty, le 18 février, au Centre Bell, aux dépens des Hurricanes de la Caroline, l'as marqueur du Tricolore et son complice David Desharnais fonctionnaient à demi-régime.

Un exploit parce que bien qu'il trône au premier rang de l'Association, le Canadien traîne Colby Armstrong, Ryan White et Travis Moen comme de gros boulets.

À l'image des Blackhawks

Un exploit qui s'explique de bien des façons: le départ de Gomez, le retour de Markov. L'implication plus grande que nature de Brandon Prust. L'énergie contagieuse transmise par Galchenyuk et plus encore par Gallagher. L'émergence de Rene Bourque et Raphael Diaz avant qu'ils ne se blessent. Le leadership de Marc Bergevin, Michel Therrien et du nouvel état-major de l'équipe.

Tout ça est vrai.

Mais plus encore, c'est la profondeur dont Jacques Martin me parlait lors du camp d'entraînement qui explique les succès du Canadien.

À Chicago cette semaine, j'ai épié la meilleure équipe de la LNH. La plus belle aux sens propre et figuré.

Pour expliquer leurs 24 premiers matchs de la saison sans défaite en temps réglementaire, les Blackhawks identifient la contribution de tous leurs joueurs. À preuve: avant de croiser l'Avalanche du Colorado hier, les Hawks comptaient sur neuf marqueurs d'au moins dix points. Trois autres frappaient à la porte avec neuf.

Ce n'est pas rien.

Après le même nombre de matchs que les Blackhawks, le Canadien compte déjà 12 marqueurs de 10 points et plus. Un sommet dans la LNH jusqu'ici cette saison. Et Brandon Prust, sans doute la révélation de la première moitié de saison, est à un petit point de ce plateau.

En plus des marqueurs, le Canadien a pu compter sur une belle complicité devant le filet alors que Peter Budaj a fait plus que sa part à titre d'adjoint de Carey Price.

Pas question de prétendre que le Canadien forme une équipe aussi redoutable que les Blackhawks. Mais après une demi-saison, on peut avancer sans le moindre risque de se tromper qu'en fait de profondeur, le Canadien n'a rien à envier à personne. Même aux Hawks.

Quoi penser de la deuxième moitié de saison qui commence ce soir à Tampa? Avec deux matchs contre des rivaux amoindris comme le Lightning et les Panthers, le Canadien devrait commencer cette deuxième moitié avec deux victoires.

On verra! Surtout que c'est quand on le croit bien en selle que le Canadien se fait le plus souvent désarçonner. Mais contrairement à l'an dernier, le Tricolore a prouvé en première moitié de saison que lorsqu'il trébuche, il est capable de vite se relever. Un autre gage de succès.