Que ce soit comme futur médecin, comme résidant de Kansas City ou comme ancien porte-couleurs des Chiefs, Jean-Philippe Darche a été foudroyé par la tragédie qui a secoué la petite ville du Missouri, samedi.

«C'est le chaos ici. Les gens ne parlaient que de ça à l'hôpital, hier. Les journaux sont tapissés de nouvelles et de photos ce matin. Même chose à la télé. C'est vraiment affreux, cette histoire», a lancé Darche, que j'ai joint chez lui hier midi.

À la retraite depuis quatre ans, Darche n'a jamais été le coéquipier de Jovan Belcher, qui a tué sa conjointe de 22 ans samedi matin avant de se rendre à l'Arrowhead Stadium, domicile des Chiefs, où il s'est enlevé la vie sous les yeux de son entraîneur-chef Romeo Crennel et du directeur général Scott Pioli - qui lui a donné la chance de faire le saut dans la NFL. Belcher a d'ailleurs remercié les deux hommes avant de se retourner pour mettre fin à ses jours.

«Il est arrivé l'année qui a suivi ma retraite. Je ne le connaissais pas, mais je peux t'assurer que c'était un gars solide sur le plan football. Pour réussir à faire le saut dans la NFL à titre de joueur autonome jamais repêché et se faire une place au sein de l'alignement régulier, il faut vraiment être fort. Il a battu toutes les odds pour se rendre là. C'est incroyable de voir qu'il a perdu la carte comme ça», a ajouté Jean-Philippe Darche, frère de l'ancien joueur du Canadien Mathieu Darche.

Impossible d'honorer un criminel

L'enquête policière n'était pas terminée hier en fin d'après-midi. Mais il appert que Jovan Belcher aurait assassiné sa compagne à l'aide d'une arme de poing en raison d'une dispute liée au fait que la jeune femme, qui a donné naissance au premier enfant du couple il y a trois mois, était rentrée trop tard dans la nuit de vendredi à samedi après avoir assisté à un spectacle avec des amies. La fillette et la mère de Jovan Belcher - qui a alerté les policiers - n'ont pas été blessées.

Impossible, dans ces circonstances, d'honorer la mémoire de Jovan Belcher avant la rencontre. Ou après. Ou demain. Ou la semaine prochaine...

«Belcher peut être le meilleur coéquipier du vestiaire, ça demeure un criminel», a convenu Darche, qui a suivi le match à la maison plutôt que de se rendre à l'Arrowhead Stadium.

Parce qu'ils devaient souligner la tragédie qui a secoué leur équipe, leurs partisans, leur ville, les Chiefs ont tenu un moment de silence avant la rencontre, à la mémoire de toutes les victimes de violence conjugale. La direction de l'équipe a déconseillé aux coéquipiers de Belcher d'afficher son numéro (59) en guise de soutien sur leur équipement.

Quelques joueurs ont levé les bras et les yeux au ciel après des jeux importants en cours de rencontre et une fois la victoire de 27-21 confirmée. Une victoire sans la moindre importance sur le plan sportif, puisqu'il ne s'agissait que de la deuxième des Chiefs (2-10) cette saison. Mais une victoire colossale sur le plan émotif pour les coéquipiers de Belcher, qui ont réservé les grandes démonstrations d'appui - si démonstrations il y a eu - pour le vestiaire.

12 meurtres-suicides par semaine

Une étude intitulée American Roulette, réalisée par l'organisme Violence Policy Center (VPC.org) révèle que 313 meurtres suivis de suicides ont été commis aux États-Unis entre le 1er janvier et le 30 juin 2011. Ces 313 homicides ont fait 378 victimes: 288 femmes, 89 hommes et une victime dont le sexe n'a pu être déterminé. Parmi ces victimes, 55 étaient âgées de 18 ans et moins. Toutefois, 66 enfants et ados âgés de 18 ans et moins ont survécu à ces drames familiaux, qui ont par ailleurs été commis à l'aide d'armes à feu dans 89,5% des cas répertoriés (280 sur 331).

Quant aux assassins qui ont ensuite retourné l'arme contre eux, 283 étaient des hommes (et 30 des femmes).

Pourquoi jouer?

Même s'il sillonne maintenant les corridors des hôpitaux, où il termine sa formation de médecin, plutôt que les lignes de côté des terrains de la NFL, Jean-Philippe Darche est encore un joueur de football dans l'âme. Un ancien des Chiefs également.

À quelques heures du botté d'envoi du match opposant les Panthers de la Caroline à ses Chiefs, Darche jonglait toujours avec le bien-fondé de disputer la rencontre.

«Je me demande vraiment dans quel état d'esprit les joueurs des Chiefs, mais aussi des Panthers, se retrouveront sur le terrain. Ce ne sera vraiment pas évident. Mais il n'y a pas vraiment d'options. Le match aurait été repris lundi soir. Ça ne changeait pas grand-chose», a affirmé l'ancien spécialiste des longues remises, qui a fait carrière à Toronto dans la LCF avant de jouer à Seattle et à Kansas City, dans la NFL.

«Nous avons joué parce c'est ce que nous savons faire de mieux. Parce que c'est ce que nous faisons tous les dimanches. Nous avons joué parce que le temps de quelques heures, nous avons pu mettre de côté la misère dans laquelle cette tragédie nous plonge tous. Mais ce n'est pas fini. Cette tragédie viendra nous hanter encore longtemps», a souligné Romeo Crennel, entraîneur-chef des Chiefs, dans sa conférence de presse d'après-match.

Témoin du dernier geste de Jovan Belcher - à qui il parlait pour le dissuader d'appuyer sur la gâchette -, Romeo Crennel a demandé aux journalistes de ne pas poser de questions sur le geste à proprement parler. «Ces images sont affreuses», a lancé Crennel, qui a plutôt tenu à saluer les victimes de son secondeur-vedette.

«Plusieurs familles sont touchées. Nous prions pour elles et leur offrons toutes nos condoléances. Mais j'aimerais que nous réalisions tous qu'une petite fille de 3 mois, qui s'appelle Zoé, n'aura jamais la chance de connaître son père et sa mère.»