Lucian Bute avait bien plus à perdre qu'à gagner samedi soir au Centre Bell: une défaite et sa carrière internationale, voire sa carrière tout court, croulait au tapis. Pis encore, une victoire, peu importe la victoire, ne lui garantissait pas nécessairement un retour dans l'élite mondiale des super-moyens.

Si Bute avait gagné facilement, les amateurs auraient accusé Stéphan Larouche et InterBox de lui avoir opposé un adversaire sans classe et sans envergure pour lui permettre de rebâtir sa confiance.

C'est d'ailleurs à ce genre de combat que je m'attendais. Un combat tranquille, pas trop risqué. Un combat au cours duquel Lucian se serait fait plaisir, rassurant du coup son coin, son promoteur, ses fans. Un combat bidon. Un combat bonbon.

Le bondon était bien plus «surette» que sucré, samedi soir, alors que Bute, et les amateurs, ont eu droit à un bien meilleur combat qu'on l'avait anticipé. Et ce bonbon, il a mal passé. De fait, il n'est pas encore tout à fait passé.

La preuve: malgré sa victoire décisive aux points selon les trois juges qui ont déterminé l'issue du combat, Bute est loin, très loin, d'avoir gagné dans la faveur populaire. Dès l'annonce de la décision, au cours de la nuit qui l'a suivie, au cours de la journée d'hier, il se trouvait plus d'amateurs pour contester les pointages - surtout le verdict de 118-110 - qui ont permis à Bute de savourer une décision unanime que de fans pour l'entériner.

Il s'en trouvera encore ce matin. De fait, il s'en trouvera encore longtemps.

Très loin de Froch

Bute a gagné aux points. Grand bien lui fasse. Il a toutefois perdu aux poings.

«Voyons! Il a frappé Grachev plus souvent que Grachev ne l'a frappé», m'ont fait remarquer Bernard Barré et Russ Anber, qui ne partageaient pas mon observation après le combat. Devant ma surprise, mon incrédulité et ma carte de pointage - verdict nul de 114-114 - Anber, dont la carte affichait 118-112 en faveur de Bute, et Barré (117-111) m'ont indiqué que j'avais marqué avec mon coeur et non avec mes yeux.

Ils ont raison. Favorable à Bute en début de combat, j'ai bifurqué vers Grachev à mesure que le combat avançait. Pourquoi? Parce que Bute, bien qu'il atteignait souvent la cible, n'ébranlait pas le moindrement le Russe, qui a affiché ses premiers signes de fatigue au 12e et dernier assaut. Le meilleur de Bute. Son plus convaincant. Son seul à mes yeux.

Avant ce 12e, Bute semblait désemparé de voir que ses coups ne portaient pas. Il s'est fait piéger dans les coins et a trouvé refuge dans les cordes très souvent. Trop souvent. Les bons coups assénés par Gratchev l'ont ébranlé bien plus que ceux qu'il a assénés au Russe. En plus d'être plus tuméfié que celui de Grachev, le visage de Bute a plusieurs fois affiché des signes d'inquiétude au cours du combat, alors que celui du Russe est demeuré impassible du début à la fin.

Pour faire des points à la boxe, il n'est pas nécessaire de faire mal à son adversaire. Il suffit d'atteindre la cible.

À ce jeu, Bute a gagné, rendant bien inutiles les débats entre ceux qui étaient favorables à la décision unanime et les autres qui contestaient la qualité, voire l'objectivité, des juges.

Cela dit, tous ceux qui débataient de la justesse ou de l'incongruité des pointages favorisant le héros local (115-113, 118-110, 116-112) s'entendaient sur un point: Bute est loin d'être prêt à affronter Carl Froch avec, dans son coin, une chance réelle de l'emporter.

Le sera-t-il un jour?

Belle soirée de boxe

Au-delà du combat Bute-Grachev, les amateurs de boxe présents au Centre Bell - plus de 10 000 personnes, dont une moitié d'invités - ont eu droit à une très bonne carte.

On avait hâte de voir Mikael Zewski (mi-moyens) se battre en personne. On a encore hâte. Car en 37 petites secondes, après une combinaison gauche-droite qui a envoyé Cesar Chavez au tapis avec un nez cassé, le Trifluvien a ajouté un 13e K.O. à sa série parfaite de 17 victoires. On savait que Zewski frappait fort. Très fort. Mais on espérait avoir l'occasion de voir s'il est aussi capable de frapper souvent... et longtemps.

«J'espère vous le prouver bientôt. Je suis prêt demain matin si Interbox veut m'inviter à nouveau. Si un gars call malade je suis prêt à me rebattre dès ce soir», m'a dit Zewski après le combat.

On a déjà hâte de le revoir.

Et on espère revoir Sébastien Gauthier. Dans ce qui a été le meilleur combat de la soirée, le petit guerrier de Saint-Jérôme a donné tout ce qu'il avait contre le Mexicain et ancien champion du monde (super-mouches) Rodrigo Guerrero. Le meilleur de Gauthier n'a pas suffi. Il a perdu par arrêt de l'arbitre. Mais il a gagné le respect de celui qui l'a battu et de tous ceux qui ont été témoins du furieux combat.

Un mot sur Francy N'Tetu: les bons gars finissent par gagner. Contre le Montréalais Schiller Hyppolite, qui aurait de bien meilleures chances de gagner s'il se limitait à boxer - ce qu'il fait très bien d'ailleurs - au lieu de narguer ses adversaires avec toutes sortes de facéties, N'Tetu, une des nombreuses fiertés de Chicoutimi, est demeuré invaincu. En passant, le gars qui est arrivé au deuxième round et qui a dicté plus de conseils des gradins que les entraîneurs de N'Tetu s'appelle Nicolas Parent. «C'est lui qui m'a traîné dans un gym la première fois. Il m'a beaucoup aidé ce soir», m'a indiqué N'Tetu après le combat.

La prochaine fois, ce serait une bonne idée de l'avoir dans le coin. Ça permettrait aux amateurs assis dans les gradins de suivre le combat plus facilement...