Ceux qui croyaient que le conflit qui paralyse la LNH depuis le 15 septembre s'expliquait par la seule guerre de pouvoir que Gary Bettman livre à l'Association des joueurs et à son premier directeur Donald Fehr n'avaient les yeux que sur une partie du champ de bataille.

Vrai que Bettman se bat contre Fehr et les joueurs qu'il représente. En fait non, il se bat contre le 1,883 milliard qu'ils ont empoché en salaire l'an dernier.

Mais le commissaire se bat aussi contre ceux qui ont accepté de verser ce 1,883 milliard en salaire. Il se bat donc contre ses propres patrons: les 30 propriétaires qui le gardent à la tête de la LNH.

La publication de l'offre globale déposée mardi en fait la preuve par 30! Si vous ne l'avez pas déjà fait, je vous invite à prendre connaissance de cette proposition et des explications qui l'accompagnent. Des informations fournies par la LNH elle-même sur son site officiel.

Comme quoi tous les moyens sont bons pour gagner la bataille des relations publiques. Car cette diffusion sans retenue contrevient à la politique de Gary Bettman qui a toujours refusé de négocier sur la place publique.

Menotter les proprios

On apprend des tas de choses dans cette proposition. Au-delà de la haute voltige arithmétique nécessaire pour comprendre le partage des revenus et les montants perçus en fiducie sur les salaires des joueurs, certains grands principes démontrent ce que je prétends depuis longtemps: Gary Bettman doit protéger les propriétaires... contre eux-mêmes.

Pourquoi? Parce que ces proprios à qui Bettman a livré le principe du plafond salarial au terme du dernier lock-out l'ont eux-mêmes défoncé à grands coups de contrats ingénieux, mais ridicules, qui nous ont conduits au conflit actuel.

Des exemples: en plus de limiter à cinq ans la durée des contrats, Bettman imposerait une fluctuation maximale, à la hausse ou à la baisse, de 5% au cours de ces cinq saisons.

Les équipes ne pourraient donc plus payer les joueurs de façon démesurée lors des premières années du contrat et leur verser de la menue monnaie - dans les paramètres de la LNH bien sûr - lors des dernières saisons.

Mais il y a plus.

Cette nouvelle proposition ne permettrait plus aux équipes de la LNH de se débarrasser d'un contrat devenu un boulet en larguant un joueur dans la Ligue américaine. Le Canadien pourrait encore envoyer Scott Gomez à Hamilton. Ça oui! Mais cette décision ne permettrait pas à Marc Bergevin de libérer 7,3 millions - salaire moyen de Gomez - sous le plafond afin de le remplacer par un ou plusieurs joueurs plus rentables et/ou efficaces.

Les Rangers de New York ont libéré 13 millions lors des deux dernières saisons en confinant le défenseur Wade Redden - contrat de 39 millions pour six ans - dans le vestiaire de leur club-école. Ils ont payé Redden bien sûr. Mais ils ont contourné les conséquences administratives de ce contrat ridicule. Ils ne pourraient plus s'offrir ce luxe pour les deux dernières années du contrat de Redden.

Et ce n'est pas tout.

Bien que les contrats à long et très long terme déjà signés seront honorés par les équipes, Bettman a apporté une modalité selon laquelle si jamais un joueur décide de prendre sa retraite avant la fin de son contrat, l'équipe qui a signé ce contrat verra le salaire moyen du nouveau retraité s'ajouter à sa masse salariale.

Qu'est-ce que cela signifie? Utilisons le contrat de Roberto Luongo à titre d'exemple. Les Canucks de Vancouver ont accordé un contrat de 12 ans d'une valeur de 64 millions à Luongo en 2010. Le gardien québécois ne figure plus dans les plans des Canucks. Échangé une ou plusieurs fois lors des prochaines saisons, Luongo pourrait décider de prendre sa retraite en 2019 et de tourner le dos aux 3,618 millions (1,618 million, 1 million et 1 million) qu'il toucherait lors des trois dernières années de son contrat de 12 ans. Dans les paramètres de la nouvelle proposition de la LNH, les Canucks devraient traîner un boulet de 5,3 millions - salaire moyen de Luongo - entre l'année de sa retraite et la fin du contrat.

Réplique des joueurs

En menottant ainsi ses patrons, Gary Bettman s'attaque aussi aux joueurs qui, en fin de compte, toucheront des salaires moins généreux.

Et au-delà de l'annonce en grande pompe d'un partage des revenus à 50-50 entre la ligue et les joueurs et le retrait de la demande initiale de remise directe sur les salaires, plusieurs autres points de la dernière proposition de la LNH - réduction du plafond salarial, autonomie complète à 28 ans et non 27 - entraîneront des baisses importantes de revenus du côté des joueurs.

Pour toutes ces raisons, il est illusoire de croire que les joueurs donneront leur accord à la nouvelle proposition, aujourd'hui à Toronto. Les commentaires initiaux de Donald Fehr l'ont d'ailleurs confirmé hier.

La vigueur de leur contre-attaque permettra de rapidement déterminer s'il est possible, ou non, de croire à une saison complète se mettant en branle le 2 novembre.

Une fin de non-recevoir minera ces chances et entraînera sans l'ombre d'un doute l'annulation de bien plus que les 82 matchs rayés du calendrier il y a quelques semaines.

Une négociation serrée permettrait aux joueurs de faire des gains ici et là, d'atténuer les pertes colossales que la ligue leur imposait, et leur impose encore, mais aussi de permettre à la ligue d'implanter des principes qui sont nécessaires pour éviter un autre conflit dans six ou sept ans.

Si les joueurs se présentent pour négocier et non pour se rebiffer, il est encore possible de croire à une saison complète. Mais si j'avais à miser un huard ou un ours polaire, je le miserais plutôt sur une saison de 62 matchs. On sera fixé assez vite...