Il y a ceux qui ont mal agi, qui s'en sont mis plein les poches, qui ont exploité toutes les failles du système. Ce sont eux que visent la plupart des recommandations de la commission Charbonneau.

Mais il y a aussi ceux qui ont omis d'agir ces dernières années. Ceux qui ont fermé les yeux, qui ont gardé les bras croisés pendant qu'on pigeait allègrement dans les coffres de l'État.

Ce problème-là, cet aveuglement volontaire, il est tout aussi grave que la corruption, mais il sera beaucoup plus long et difficile à enrayer...

Prenez Gérald Tremblay, qui est « blâmé » pour cette raison précise par la commission Charbonneau. Il avait le devoir de surveiller l'administration municipale, et pourtant, il a préféré regarder ailleurs.

Aucune recommandation ne peut forcer un maire à ouvrir les yeux. Aucune loi ne peut l'obliger à faire preuve de leadership. Aucun règlement ne peut interdire l'aveuglement volontaire. Oui, on peut multiplier les mécanismes de contrôle, mais aucun n'empêchera un élu de regarder ailleurs.

Or, ce que révèle justement le rapport de la commission Charbonneau, c'est que l'ancien maire de Montréal était loin d'être seul à se complaire dans l'aveuglement volontaire. 

Ils étaient nombreux à laisser faire ces dernières années, dans les villes, les ministères, les organismes.

« Certains élus et hauts dirigeants ont orchestré des stratagèmes », écrivent les commissaires, d'autres ont été « complices d'actes répréhensibles ». Mais d'autres encore « les ont tolérés ou ont omis de les dénoncer ».

Un problème bien plus insidieux qu'un appel d'offres truqué ou un faux extra.

Ce qu'on comprend en lisant le rapport dévoilé hier, c'est qu'on était au courant de ce qui se passait, la plupart du temps, mais on ne faisait rien. Soit parce qu'on ne voulait pas savoir, soit parce qu'on s'arrangeait pour ne pas savoir.

Prenez Laval. Un cas flagrant, connu à Québec. Un ancien directeur de l'approvisionnement de Montréal avait tout révélé aux sous-ministres adjoints du ministère des Affaires municipales. Et ce dernier n'avait rien fait. E-rien.

Puis quand les médias ont commencé à multiplier les histoires d'horreur sur le règne Vaillancourt, le Ministère a commandé le « rapport Martin », qui a confirmé l'apparence de copinage. Mais il ne s'est toujours rien passé. Pas d'enquête, pas d'intervention du ministre.

Prenez Montréal. Le contrôleur général a pondu pas moins d'une demi-douzaine de rapports internes révélant des anomalies importantes dans l'octroi des contrats de construction. Il n'y a pas eu de suivi. Niet.

Prenez la Commission municipale, celle qui a justement le mandat d'enquêter dans les villes. Vous savez combien d'enquêtes elle a lancées pendant toutes ces années où l'on pillait joyeusement le trésor des villes ? Aucune.

Prenez le Directeur des élections. Il avait été informé de l'utilisation de prête-noms dans le financement des partis politiques. Mais il ne voulait pas aller là. Il ne voulait pas jouer son rôle de coercition, voyez-vous...

On savait, ou on s'arrangeait pour ne pas savoir. Un problème immense, qui ne se règle pas facilement. Car c'est un problème de culture. 

Un problème de leadership. Un problème qui révèle un manque cruel d'initiative, d'indignation, de volonté d'agir, du haut en bas de la chaîne de commandement.

Donc c'est bien beau et nécessaire de protéger les lanceurs d'alerte et de créer une Autorité des marchés publics. Mais il faudra aussi miser sur la reddition de comptes et la transparence. Il faudra miser (pour vrai) sur l'accès à l'information, la disponibilité des rapports, l'ouverture des données, l'accès aux sommaires décisionnels.

C'est d'ailleurs ce qu'ont dit plusieurs experts durant les audiences de la Commission. La transparence est la meilleure façon de réduire l'emprise de la collusion, de la corruption, du financement politique illicite et du crime organisé.

C'est aussi la meilleure façon de garder les yeux ouverts sur les élus, pour qu'eux ne les ferment pas.