Le gouvernement Trudeau se présentera à Paris... avec la cible de réduction de gaz à effet de serre du gouvernement Harper. Hé.

Certains comprennent, d'autres sourcillent, et d'autres encore s'en désolent. Comme si le choix d'un objectif national pouvait se décider vite, vite, sur le coin d'une table.

Drôle, moi, ça me rassure, justement. Ça me rassure d'entendre la ministre McKenna dire, comme elle l'a fait mardi, qu'elle prendrait le temps de bien faire les choses. Qu'elle voulait étudier, rencontrer, analyser avant de proposer une nouvelle cible canadienne.

Quitte à faire le voyage en France avec l'objectif des conservateurs. Même s'il est sans saveur.

Je comprends l'impatience. Je comprends la soif d'action prompte et volontaire. Mais avant d'exiger que les libéraux de Justin Trudeau n'agissent rapidement post-Harper, il faut se rappeler les errements des libéraux pré-Harper. Il faut se rappeler les difficultés des gouvernements Chrétien et Martin à réduire les gaz à effet de serre au début des années 2000.

Il faut se rappeler les échecs passés des libéraux, en fait, car ils s'expliquent justement par une décision prise vite, vite, sur le coin d'une table...

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Pour apprécier la prudence des libéraux à la veille de la conférence de Paris, il faut en effet se souvenir de l'imprudence des libéraux à la veille de la conférence de Kyoto.

On est en 1997. Le gouvernement Chrétien est au pouvoir. Les émissions de gaz à effet de serre du pays ne cessent d'augmenter (13 % en sept ans). Les provinces se réunissent avec le fédéral à Regina pour discuter de la stratégie à adopter.

Un consensus se forge alors : mieux vaut être pragmatique, ne pas viser plus haut que ce qu'on est capable de faire. Contentons-nous de ramener les émissions à leur niveau de 1990, ce serait déjà un exploit. Et c'est ce que proposent de faire les Américains, de toute façon.

Tout le monde s'entend donc pour une cible de 0 % par rapport à 1990.

Mais une fois revenu à Ottawa, Jean Chrétien change d'idée. Il donne une autre consigne aux négociateurs en chef avant son départ pour Kyoto : peu importe ce que Washington met sur la table... proposez plus. Proposez une cible plus ambitieuse, coûte que coûte.

Ce qui devait arriver arrive évidemment. Al Gore, qui reluque la présidence, se présente finalement à Kyoto avec une cible de réduction de 2 %, le Canada passe à 3 %. Il envisage de monter à 7 %, la délégation canadienne met le cap sur 8, voire 10 %. Puis la négo se stabilise à 6 % de réduction, par rapport au niveau de 1990.

Le chroniqueur du Globe and Mail Jeffrey Simpson raconte ces négociations surréalistes dans son excellent livre Hot Air. À son avis, le Canada a constamment modifié sa cible, sans consulter les provinces, sans demander l'opinion des experts, sans même mener une analyse de faisabilité, dans le seul but de rivaliser avec les États-Unis (qui n'ont finalement jamais ratifié Kyoto...).

Résultat : le Canada s'est retrouvé avec une cible qu'il n'a jamais vraiment essayé d'atteindre après ça.

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Cette fois, à la veille d'une conférence aussi importante que celle de 1997, les libéraux optent pour la prudence. Et le gros bon sens.

Tant mieux.

On prend le temps qu'il faut pour bien faire. Et tant pis s'il faut avaler une couleuvre entre-temps, c'est-à-dire la cible héritée des conservateurs (moins 30 % par rapport au niveau de 2005, d'ici 2030).

Une cible qui ne s'approche même pas de ce que devra faire le pays s'il veut vraiment participer à l'effort international.

Tout au plus, le gouvernement Trudeau pourrait reconnaître que l'objectif du gouvernement Harper doit être revu à la hausse, comme le demandent les grands groupes écologistes. Mais il est trop tôt pour proposer une nouvelle cible. Trop tôt aussi pour s'engager à augmenter substantiellement l'aide financière aux pays en développement.

De toute façon, avouons-le, la seule présence à Paris d'une ministre volontaire issue d'un gouvernement volontaire sera applaudie. Le Canada peut donc approuver le futur « accord de Paris » début décembre, puis modifier au cours des années suivantes son objectif de réduction des gaz à effet de serre (qui sera contenu dans les annexes, donc révisable).

Justin Trudeau pourra ainsi, une fois revenu de Paris, préciser les intentions du pays. Il pourra rencontrer les premiers ministres des provinces et des territoires (ce qu'il a promis de faire dans les 90 jours après la conférence). Il pourra analyser les différentes études économiques et scientifiques, élaborer un cadre de travail, puis réviser l'objectif canadien.

Pour une fois qu'on ne se contente pas de pensée magique pour affronter le défi climatique...