Assis à une terrasse, au coin des rues Thurlow et Davie, je bois tranquillement mon café. Les yeux écarquillés. Impressionné par ce que je vois défiler devant moi depuis une bonne demi-heure.

Et je me dis: Bon Dieu, si seulement je pouvais partager ce moment avec... Denis Coderre.

Ne me jugez pas. Ce n'est pas une névrose. Seulement une déformation professionnelle. Car ce que j'observe à cette terrasse du West End de Vancouver, c'est le ballet incessant des autopartages.

Zoum, une Car2Go. Zoum, une Evo. Zoum, une Modo. Zoum, une ZipCar.

Il y a tellement d'autos en partage et en libre-service qui circulent dans les rues de Vancouver que je suis incapable de garder le compte. Et il y a tellement d'entreprises différentes qui occupent ce marché florissant que j'ai une pensée pour le maire Coderre... qui vient de mettre un frein brutal à cette industrie à Montréal.

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Il y a quelques jours, l'administration Coderre a en effet lancé l'appel d'intérêt international pour le déploiement d'un réseau de véhicules en libre-service électriques. Façon, précise-t-on, de hisser la métropole au rang de leader de l'électrification des transports.

Bien beau. Mais du coup, on déshabillait Pierre pour habiller Paul. Car pour essayer de se positionner éventuellement côté électricité, il fallait freiner les entreprises d'autos en libre-service déjà implantées. Les très populaires Car2Go et Auto-mobile, que le maire a empêché de croître depuis son élection...

Denis Coderre a ainsi impliqué la grosse et lourde machine municipale dans une industrie qui carbure à l'innovation constante. Il est intervenu dans un libre marché qui se portait très bien sans intervention de la Ville. Il a mis le doigt du public dans un engrenage privé bien huilé.

Bref, il a enrayé un marché en pleine lancée pour le remplacer par un service électrique incertain qui nécessitera temps, ressources, bornes de recharge, entretien et soutien public. Comme si la Ville n'avait pas assez de problèmes comme ça.

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Vancouver a choisi de faire l'inverse de Montréal. C'est ce que je constate, attablé à la terrasse du café de la rue Davie, alors que les voitures en partage et en libre-service défilent devant moi à un rythme d'enfer.

Elles sont nombreuses. Elles sont omniprésentes. Et pour les avoir essayées, je peux dire qu'elles vont dans tous les recoins de Vancouver. Au centre-ville. Dans les quartiers plus décentrés. À l'aéroport. Et même en banlieue, à Richmond, à North Vancouver...

Et partout, ces autos sont accueillies à bras ouverts par les autorités. Elles peuvent se garer là où il n'y a pas de contraintes. Elles ont accès à des stationnements couverts. Elles payent les vignettes de stationnement au même prix que les résidants (c'est le double à Montréal). Et elles profitent d'une centaine de cases de stationnement sur rue, réservées aux seuls véhicules en libre-service.

Pas étonnant qu'il y ait plus d'acteurs dans le libre marché de Vancouver qu'à Montréal...

«La Ville a toujours été derrière nous, explique Chris Iuvancigh, directeur général de Car2Go Vancouver. Le maire Greg Robertson aussi. C'est pour ça qu'on est venus ici très rapidement après notre lancement à Austin, en 2011.»

Résultat: Vancouver a pu profiter de la «prime au précurseur», le fameux «First Mover Advantage». L'allemande Car2Go ne s'est pas contentée de s'installer à Vancouver, elle en a fait son siège social canadien.

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Il n'y a pas à dire, Vancouver est une drôle de bibitte côté transports. On n'y retrouve pas de vélos en libre-service. Pas d'Uber. Mais l'auto en libre-service prend beaucoup, beaucoup de place dans cette ville dense, écolo et innovante.

Au point où certains la qualifient de «capitale mondiale de l'autopartage»...

Preuve que le marché y est ouvert et florissant, la British Colombia Automobile Association, l'équivalent local de notre CAA, vient tout juste de lancer son propre service de véhicules en libre-service. Il s'appelle Evo et cible tout particulièrement les amateurs de plein air avec de belles Prius noires munies de supports à vélo, à surf, à ski.

Du coup, le marché de Vancouver a pris de l'ampleur. Encore. Ce qu'il fait constamment. Evo a ajouté 250 voitures en libre-service sur les routes. Car2Go offrait déjà son plus important parc nord-américain, soit 750 véhicules (460 à Montréal). Et en autopartage, la coop Modo compte plus de 300 autos. Tandis que ZipCar en a quelques centaines elle aussi.

Faites le calcul. Il y a à Vancouver, à l'heure actuelle, plus de 1000 véhicules en circulation. Précisément l'objectif que souhaite atteindre le projet électrique de Montréal. Dans cinq ans.