« Vous m'avez permis de réussir ma vie au-delà de mes espérances. »

La phrase lancée aux anciens militants du Rassemblement des citoyens de Montréal (RCM), en décembre dernier, était sentie. Suivie de larmes et d'une intense émotion. En quelques mots, Jean Doré venait de formuler son testament politique, comme seul un homme fier de son immense bilan pouvait le faire.

Il considère sa vie réussie, car il a réussi ce qu'il voulait faire de sa vie en se mettant au service des citoyens, au service de leur ville, au service de Montréal.

Ce qu'il aura fait jusqu'à la fin, alors même qu'il était rongé par le cancer du pancréas. Ce « cancer orphelin », selon ses mots, qui intéresse trop peu la communauté scientifique. Ce cancer qu'il savait « fatal », même s'il espérait encore être épargné par le pire, comme ces rares chanceux, à peine un sur dix, qui réussissent à y échapper sans qu'on sache trop pourquoi.

Affaibli, mais toujours debout grâce à une bonne réaction à la chimio, il évoquait encore la métropole comme s'il l'avait dans la peau ces dernières semaines. Il parlait du fonds de recherche qu'il avait aidé à mettre sur pied, mais aussi, sans se faire prier, de son bilan politique, des défis qui attendent Montréal et des solutions qu'il préconise. Pour l'avenir.

« Il évoquait tout cela sans amertume, sans nostalgie, raconte son ami et ancien collègue André Lavallée. Il évoquait cela avec ardeur, avec optimisme. »

Il évoquait cela, surtout, avec une sérénité désarmante, signe indéniable d'un homme parti avec le sentiment du devoir accompli.

***

Jean Doré était un visionnaire. Dans le sens étymologique du terme. Un homme de vision, qui savait ce qu'il voulait faire de Montréal, qui avait une idée claire du chemin qu'il souhaitait emprunter dès son élection.

C'était un maire qui savait où il allait, au même titre que Jean Drapeau, mais sans sa flamboyance, sans son caractère mégalo, sans les excès des années 60. Il avait donc un plan, un programme pour une métropole qu'il souhaitait plus démocratique, plus décentralisée, plus près des citoyens.

Évidemment qu'une telle vision n'appelle pas un bilan en feux d'artifice. Surtout dans le contexte économique difficile de ses deux mandats, de 1986 à 1994. Mais un bilan riche, néanmoins, d'accomplissements véritablement durables.

« Jean Doré a été tantôt laboureur, tantôt semeur », résume André Lavallée. On lui doit d'importants legs comme le Quartier international et le recouvrement de la carrière Miron. On lui doit bon nombre de documents fondamentaux qui ont changé la ville, comme le tout premier plan d'urbanisme. On lui doit les legs du 350e, la première piste cyclable, les conseils de quartier, l'Office de consultation publique et la démocratisation des institutions politiques... après le trou noir des années Drapeau.

Rien d'innocent à ce qu'il ait ouvert les lourdes portes de bronze de l'hôtel de ville aux citoyens. Littéralement.

« Si la ville va bien aujourd'hui, a dit Jean Doré avec lucidité, c'est grâce aux efforts de redressement de notre équipe. »

***

Cela dit, on peut bien énumérer les réalisations de Jean Doré, on peut dresser un bilan froid et politique de ses années au pouvoir, l'exercice demeurera incomplet tant qu'on n'évoquera pas la chaleur de l'homme... et celle qu'il a insufflée à Montréal.

Dépeint trop souvent comme un technocrate, le maire Doré a réussi à faire de Montréal un milieu de vie dynamique, habité, à échelle humaine.

C'était en quelque sorte l'anti-Jean Drapeau, qui succédait, sans hasard, à Jean Drapeau.

L'anecdote que raconte l'ancien conseiller municipal André Lavallée peut sembler anodine, mais elle résume bien l'important legs de Jean Doré et de son équipe. « Quand le RCM a été élu en 1986, les festivals ne pouvaient pas fermer de rue. Aujourd'hui, c'est un acquis. Parce qu'à l'époque, Jean Doré a soutenu les grands événements culturels et a adopté un plan qui reconnaissait le potentiel du secteur de la Place des Arts. »

Il a aussi multiplié les grands projets urbains : Faubourg Québec, Faubourg Saint-Laurent, Faubourg des Récollets. Il a donné vie aux anciennes usines Angus, au Sud-Ouest, aux abords du canal de Lachine. Il a misé sur la force des quartiers, la qualité de vie, les services de proximité, les marchés publics, la culture, le vélo.

Bref, si Jean Drapeau a fait de Montréal une ville moderne, Jean Doré en a fait une ville habitée, grouillante, qui se vit au quotidien. Et en ce sens, il aura réussi à implanter son programme. Il aura réussi à imposer sa vision. Il aura réussi sa vie politique.

Voilà à quoi il faisait référence, en décembre dernier, quand il lançait à ses anciens élus et militants qu'il leur en serait « toujours » reconnaissant.