Des trous sont apparus un peu partout dans mon quartier, cette semaine. De gros trous rectangulaires, de la taille d'une fosse de cimetière. Ils n'étaient pas là mardi, il y en avait une demi-douzaine mercredi.

Postes Canada est en ville, malheureusement. Avec ses pelles, ses «pépines» et son absence de sensibilité pour les milieux de vie qu'elle bouleverse.

Je plains mes voisins qui vivront désormais avec ces masses compactes sur leur terrain. De grosses boîtes de tôle grises qui se transformeront en ruches humaines, attirant des résidants à toute heure du jour et de la nuit.

Certaines sont installées derrière des haies ou des clôtures. Mais d'autres sont à portée de bruits de clés, de portières qui claquent, d'autos arrêtées avec le moteur qui tourne.

Et que dire de l'apparence de ces boîtes «communautaires» ? Je suis peut-être trop sensible à ce genre de choses, étant le genre à pester contre Hydro qui taille les arbres tout croche et renforce ses poteaux en en raboutant deux ensemble.

N'empêche, ces boîtes aux lettres géantes sont affreuses, objectivement affreuses. L'urbaniste Gérard Beaudet m'a déjà raconté avoir été embauché par Postes Canada pour revoir leur look, il y a plus de 20 ans. Il avait alors qualifié ces horreurs d'«hippopotames montés sur des pattes de girafes».

Comment a réagi la société d'État? En ajoutant une jupe métallique pour cacher lesdites «pattes». Rien de plus, sinon l'ajout d'un collant corporatif sur le côté.

Un indice de plus de l'insensibilité de Postes Canada. Un indice qui s'ajoute à tellement d'autres qu'il y a lieu de parler d'arrogance.

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Il y a en effet quelque chose d'arrogant, mais aussi d'archaïque dans la façon de faire de Postes Canada. Quelque chose qui rappelle «l'Amérique du Nord britannique» et son acte. Quelque chose qu'on croyait révolu: le pouvoir absolu d'une société de la couronne, État dans l'État.

Curieux comment les choses évoluent. D'un côté, on multiplie les lieux d'échanges, les canaux de consultation, les outils participatifs. On donne plus de pouvoir aux villes pour qu'elles se développent selon les demandes et les besoins des citoyens.

Et de l'autre, on permet à des sociétés comme les Postes de débarquer dans ces mêmes villes comme si on était en 1867, sans obligation de demander de droit, d'avis ou de permis à qui ce soit. La reine a tranché. Tassez-vous.

Pardon? Les citoyens ont été sondés? Les villes ont été consultées? Oui. Autant qu'on peut consulter une personne à qui on force une décision en travers la gorge: pour savoir si elle le veut plus à droite, ou plus à gauche...

C'est pourquoi la Ville de Hamilton est obligée de demander aux tribunaux qu'on respecte SA juridiction sur SON territoire. C'est pourquoi les plus grandes villes du Québec sont solidaires de son combat. C'est pourquoi il y a une levée de boucliers générale dans toutes les municipalités moindrement peuplées du pays.

Car à la base, ce que brime la décision de Postes Canada, c'est le droit des citoyens, des communautés, des municipalités d'aménager leur milieu de vie. À leur façon.

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On me dira que Postes Canada avait des problèmes financiers, que la disparition de la livraison du courrier à domicile était inévitable. Et, donc, que les trous dans mon quartier l'étaient tout autant.

Peut-être. Mais quand je vois les millions de profits générés par Postes Canada au dernier trimestre, j'ai la fâcheuse impression qu'on exagère les problèmes du statu quo... et qu'on minimise ceux qui accompagneront l'installation de centaines de milliers de boîtes postales. Dans des milieux denses. Dans une société vieillissante. Dans des villes qui n'en veulent pas.

Je pense aux nuisances que vivront mes voisins. Mais je pense aussi à l'entretien des boîtes à long terme, à la réparation des bris, à l'enlèvement des graffitis, au déneigement, au nettoyage.

Prenez l'exemple de Saint-Henri. Après qu'un facteur eut été attaqué à répétition, des boîtes postales ont été installées sur la rue Saint-Rémi en janvier dernier (sans que l'arrondissement ait été mis au courant). Or des graffitis et des tags sont apparus... en quelques jours. Puis une chenillette a arraché un morceau du flanc arrière des boîtes une semaine plus tard.

On parle ici d'une seule série de boîtes postales dans un seul quartier urbain pendant un seul petit mois. Et on compte en installer dans toutes les villes d'un océan à l'autre? Même s'il est déjà difficile d'implanter des terrasses sans nuire à toutes sortes de gens? Même si on peine à maintenir la propreté des équipements d'utilité publique? Même si on doit protéger le mobilier urbain avec des «deux par quatre» pour éviter qu'il ne soit arraché par les déneigeuses?

Et parce qu'une société de la Couronne décrète que ces problèmes n'en sont pas, les villes n'ont qu'à se la fermer. Les citoyens doivent la boucler. Et mes voisins doivent se résigner à fermer leurs fenêtres.

On se croirait au siècle dernier.