Est-ce un signe que Denis Coderre prend Luc Ferrandez au sérieux?

Le maire a tenu une conférence de presse dimanche dernier, ce qui n'est pas dans ses habitudes. Une conférence sur la piétonnisation, qui jouait clairement dans les platebandes du parti de Luc Ferrandez. Une conférence qui a eu lieu le jour même du congrès de Projet Montréal.

Une conférence, ai-je appris, qui était prévue trois jours plus tard, mais qui a été devancée à la dernière minute...

L'annonce était en effet prévue pour ce mercredi. Les communiqués étaient écrits, les «lignes» aussi. Mais le point de presse de M. Coderre a finalement été précipité... et s'est donc fait parallèlement à celui de M. Ferrandez.

Un hasard, plaide le cabinet du maire. Peut-être. Mais ce hasard fait terriblement bien les choses, car les médias n'ont pas accordé au congrès de Projet Montréal l'importance qu'il méritait.

On a certes brièvement évoqué le report de la course à la direction à 2016, mais la rencontre a servi à bien plus que ça: elle a jeté les bases d'un virage majeur dans ce parti qui veut aujourd'hui se réformer complètement.

Son modèle: le RCM de Jean Doré.

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La parenté entre Projet Montréal et le Rassemblement des citoyens de Montréal était déjà manifeste, disons-le. Ce sont deux partis de militants. Deux partis «populaires». Et deux partis, chose rare au municipal, au service d'une idéologie plus que d'un chef.

La social-démocratie était au coeur du programme du RCM pendant ses années au pouvoir (1986 à 1994), alors que Projet Montréal carbure au nouvel urbanisme.

Mais la comparaison s'arrête là.

Projet a beau avoir un penchant progressiste, on y retrouve des gens de différentes tendances. Tous ne sont pas amis des syndicats, disons. En revanche, le Rassemblement des citoyens était une formation issue du NPD, du PQ et, surtout, du milieu syndical.

Les priorités de Richard Bergeron étaient aussi différentes de celles de Jean Doré. Le premier s'est concentré de manière obsessionnelle sur les grands projets urbanistiques, alors que le second ratissait beaucoup plus large: démocratisation de la ville, logement social, gratuité du transport en commun pour les personnes âgées, etc.

Les deux partis ont beau se ressembler, ils ont donc une approche différente. L'un est un parti de gauchistes, l'autre de spécialistes. Le RCM était bien représenté chez les anglophones, PM beaucoup moins. Et surtout, le Rassemblement était implanté dans les quartiers, tous les quartiers. Tandis que Projet n'a jamais réussi à être plus que le parti de certains quartiers bien ciblés.

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Après 10 ans d'existence, Projet Montréal voit bien qu'il n'est pas là où était le RCM en 1984, alors qu'il soufflait ses 10 bougies: aux portes du pouvoir.

La formation de Luc Ferrandez n'est pas dupe. Son combat acharné contre l'auto l'a cantonné au rôle d'opposition. Un rôle qu'elle pourrait occuper longtemps, si on en croit les résultats de l'enquête dévoilée hier par l'AMT: le nombre d'autos augmente deux fois plus vite que le nombre d'électeurs!

Un virage s'impose donc, ont conclu les militants lors de leur congrès. «Comme le Labour quand il s'est réinventé, on doit mettre une croix sur des vaches sacrées», reconnaît le maire de Rosemont, François Croteau.

Projet Montréal a un intéressant programme, mais il a été rejeté à plusieurs reprises par les électeurs parce que le parti a refusé d'en diluer les éléments les plus radicaux. Parce qu'il a toujours fui les compromis. Parce qu'il a joué les jusqu'au-boutistes.

Finis, donc, les grands projets de Richard Bergeron, le tramway, l'Entrée maritime, le Quartier Bonaventure. Finie, la vision du haut vers le bas. Finie, la lutte acharnée que menait le parti contre l'automobile, les routes, la pollution.

Projet Montréal ne veut plus être le parti contre, mais le parti pour. Pour le logement, la qualité de vie, l'animation urbaine, les espaces verts, les milieux de vie. Un parti pour les quartiers, surtout. Tous les quartiers.

Une feuille de route, on le voit bien, calquée sur celle qui a fait le succès du RCM, une belle fleur à Jean Doré, d'ailleurs, au moment où il vit des moments difficiles.

Mais il ne suffit pas de vouloir être le nouveau RCM pour le devenir. Un très long chemin s'annonce pour Projet Montréal. Un chemin, soyons lucides, qui pourrait l'amener au-delà des élections de 2017. Car il sera très difficile de se départir de cette image «anti-char» que Richard Bergeron a imprimée dans la tête des électeurs avec l'aide, disons-le, de Luc Ferrandez.

Mais bon, pour l'instant, le parti peut se consoler en se disant que Denis Coderre le prend au sérieux. La conférence de presse sur la piétonnisation est peut-être le fruit du hasard, mais certainement pas la multiplication des annonces sur les espaces verts, les milieux de vie et les transports en commun.