Pour expliquer la sortie de Pierre Moreau, certains ont évoqué le suicide ministériel, d'autres, la bévue, l'inexpérience et je ne sais quoi encore.

Mais il ne faut pas chercher midi à quatorze heures. L'attaque frontale du ministre était, de toute évidence, préméditée, planifiée, soigneusement programmée pour frapper en pleine semaine de budget municipal.

Le message: c'est pas moi, je le jure.

C'est pas moi, et c'est surtout pas mon pacte fiscal qui est responsable de toutes les hausses de taxes dont vous entendrez parler aux quatre coins de la province ces jours-ci.

Le ministre s'en est pris à Laval et à Longueuil, mercredi dernier, mais il visait beaucoup plus large. Ces deux villes (dirigées par des maires d'allégeance souverainiste) n'étaient que les agneaux sacrificiels.

C'est pas moi, donc, et c'est pas la course au déficit zéro de mon gouvernement qui est responsable de la hausse de taxes de 3,2% à Laval et de celle de 3,9% à Longueuil. Pas plus que de celle de Repentigny (5,75%), de Sainte-Thérèse (3,9%), de Varennes (1,9%) et de toute autre ville qui annoncera une hausse de taxes dans les prochains jours.

C'est pas moi, c'est pas mon parti, c'est pas le Conseil des ministres, c'est pas mon gouvernement. Je le jure.

***

Si le ministre Moreau s'en était tenu à une simple dénonciation des décisions de Laval et Longueuil, comme il en a le droit, les contribuables en auraient pris note. Puis ils seraient passés à autre chose.

Mais non, Pierre Moreau voulait que sa sortie s'imprime dans la tête des électeurs en cette période budgétaire (un ministre n'utilise pas le mot «crétin» à la légère...). Il voulait contrer le ressac potentiel des hausses de taxes... avant que les citoyens s'en désolent autour de la dinde.

Bref, il voulait éviter qu'un fin finaud se mette à parler de la «taxe Moreau», comme on s'est mis à parler de la «taxe Coderre», ici à Montréal, dans la foulée de la réforme du financement des arrondissements.

On est donc moins dans l'intimidation que dans le spin. L'important n'est pas ce que dit le ministre, mais ce que les gens garderont en tête.

Et au diable la démocratie représentative, la légitimité politique des maires et la prérogative des conseils municipaux de confectionner leur budget.

Au diable, aussi, les belles promesses de «partenariat» lancées par le premier ministre Couillard ainsi que le respect dû au gouvernement de proximité jadis vanté par le ministre Moreau.

La fin justifie les moyens. Et le danger que représentent ces «créatures» en cette période de colère latente justifie l'ingérence.

Pierre Moreau est donc allé trop loin, certes. Mais à voir sa détermination depuis, à voir la défense de son premier ministre, à voir la solidarité de ses collègues du Conseil des ministres, il l'a fait en connaissance de cause.

De toute évidence, ce ministre au parcours sans tache a agi en bon soldat, au nom du Conseil des ministres, afin qu'aucun de ses collègues ne porte l'odieux des hausses de taxes municipales pendant le temps des Fêtes.

***

Les maires ont-ils leurs torts, eux aussi? Sans doute. Ce ne serait pas la première fois qu'une administration municipale justifie une hausse de taxes en renvoyant paresseusement la faute au gouvernement plutôt qu'en passant le balai.

Mais c'est dans l'ordre des choses au Québec: le gouvernement pellette régulièrement ses responsabilités dans la cour des villes, et les villes imputent tout aussi fréquemment leurs problèmes au gouvernement.

Ce jeu politique est frustrant, mais il ne peut justifier un déni de démocratie. Il ne peut certainement pas servir de prétexte pour bafouer les règles qui encadrent le partage des pouvoirs entre ordres de gouvernement.

Les villes ne sont pas «des exécutants à la solde du pouvoir technocratique», comme l'a déjà dit l'ancien président de l'UMQ Éric Forest. Elles constituent plutôt un palier de décision qui a reçu du législateur des pouvoirs clairs balisant son autonomie politique et administrative.

S'y attaquer revient à la nier.

D'où la réaction de solidarité de tous les maires du Québec, pas juste des maires qui haussent leurs taxes et prennent soi-disant les contribuables pour des «crétins». Seuls absents, les maires Coderre et Labeaume, qui refusent de serrer les coudes avec les autres, une décision troublante.

Jusqu'à preuve du contraire, la capitale et la métropole font partie du monde municipal. Et c'est l'ensemble du monde municipal qu'a dénigré cette semaine le ministre Moreau.