La sagesse et la dignité de la famille de Maurice Richard méritent d'être saluées. Surtout dans un contexte où nos élus en manquent si cruellement.

Quand on regarde les multiples rebondissements de cette controverse créée de toutes pièces, on en vient à se demander ce qu'ils mettent dans l'eau des capitales pour que le jugement y fasse à ce point défaut.

Comment Stephen Harper a-t-il pu permettre qu'on plonge le nom du Rocket dans une controverse aussi pénible et prévisible? Comment Philippe Couillard a-t-il pu accepter qu'on abandonne le nom de celui qui a ancré le fait français en Amérique? Comment les députés de la CAQ ont-ils pu applaudir alors que la première réaction du grand public en a été une de rejet en bloc?

Mais surtout, comment le ministre fédéral responsable de ce psychodrame peut-il encore aujourd'hui s'entêter?

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Denis Lebel a annoncé qu'il abandonnait son idée saugrenue, hier en matinée. Pas parce qu'il avait réfléchi plus avant, pas parce qu'il avait conclu qu'elle n'était pas bonne. Parce que les héritiers de Maurice Richard eux-mêmes ont fini par trouver que c'était une mauvaise idée. C'est dire.

De guerre lasse, le ministre ne pouvait faire autrement que de «respecter leur souhait», comme il a dit...

Denis Lebel recule, donc. Mais attention, il ne recule qu'à demi. Il n'a pas dit que l'histoire devait être respectée. Il n'a pas dit que la population devait être consultée. Et surtout, il n'a pas dit que le nom de Champlain serait conservé.

Il a plutôt dit: «Je trouve dommage qu'on ait mis en opposition deux géants de notre histoire.»

Il a ajouté: «La décision concernant le nom du nouveau pont n'est pas prise.»

Et il a conclu: «Je suis un amateur de hockey, je suis un amateur d'histoire, d'art et de pizza aussi.»

Trois phrases qui allument autant de feux rouges. Car chacune, à sa façon, montre que le ministre n'a absolument rien compris.

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Je devrais être soulagé, je le sais bien. Le futur pont ne portera pas le nom d'un joueur de hockey qui, aussi illustre soit-il, n'a rien à voir avec le fleuve.

Mais je suis inquiet. Inquiet d'entendre le ministre évoquer dans une même phrase son amour pour l'histoire... et la pizza. Inquiet de le voir parler du nom du pont comme si c'était... son pont. Inquiet de ne pas sentir dans sa voix plus de respect pour la toponymie... qu'au début de la semaine.

Et surtout, je suis inquiet de voir que le ministre n'a tiré aucune leçon de la déferlante de protestations.

L'opposition quasi unanime des derniers jours nous révèle en effet plusieurs choses qui semblent échapper à Denis Lebel, celui-là même, soulignons-le, qui a «mis en opposition deux géants de notre histoire».

D'abord, la population doit être dans le coup. Comme elle l'a été lorsque Montréal a choisi d'honorer Gary Carter, par exemple.

Or hier, le ministre a dit qu'«on ne peut réfléchir à un nom pour un pont sans parler avec la famille», mais je ne l'ai pas entendu en dire autant de la population. Pas plus qu'il n'a dit qu'il se ferait plus transparent à l'avenir.

Ensuite, on ne joue pas avec la toponymie comme s'il s'agissait d'un jeu de société. Comme nous l'avait montré la controverse suscitée par le remplacement du nom de l'avenue du Parc par celui de Robert Bourassa.

Or le ministre a répété avec beaucoup de légèreté, hier, que la décision n'est pas prise. Comme s'il pouvait simplement réfléchir à la chose à partir de son bureau d'Ottawa puis nous honorer de sa décision une fois qu'elle aura été arrêtée...

Mais par-dessus tout, la leçon qui semble avoir échappé au ministre, c'est que la population tient au nom de Champlain.

Samuel de Champlain n'est pas que le fondateur de Québec, c'est aussi le navigateur qui a remonté le Saint-Laurent jusqu'au pied du saut Saint-Louis, devenu les rapides de Lachine. C'est le cartographe qui a tracé les contours de Montréal. C'est l'homme qui a nommé l'île Sainte-Hélène. Et c'est, surtout, l'explorateur qui a défriché le lieu même de fondation de Montréal, 30 ans avant que Maisonneuve ne s'y installe.

Or, hier, M. Lebel a fait savoir qu'il cherchait toujours un nom pour le futur pont, comme si c'était simplement le nom de Maurice Richard, dans une longue liste, qui avait été rejeté par la population.

Il a tout faux! Ceux qui cherchent un nouveau nom pour le pont aussi. Le cri du coeur des derniers jours n'était pas contre le choix du Rocket, mais pour Champlain. Pour son importance. Pour sa mémoire. Pour que son nom reste accolé au pont, actuel et futur, qui traverse le fleuve qu'il a exploré il y a 400 ans.

La question est maintenant de savoir comment on va honorer le nom de Richard, non pas comment on va effacer celui de Champlain.