C'est la première idée qui a jailli quand on a discuté des sujets à couvrir à Boston: le Big Dig. Le projet a beau dater, il n'existe pas d'équivalent dans le monde ni passé ni futur. Et donc, encore aujourd'hui, huit ans après son inauguration, le Big Dig est toujours aussi incontournable et fascinant.

Mais y a-t-il vraiment quelque chose à apprendre de ce projet pharaonique d'enfouissement d'autoroute, pour nous à Montréal? J'en doutais, pour tout vous dire. D'abord parce que les dépassements de coûts et les retards furent titanesques. Ensuite parce que le projet équivalent, à Montréal, serait l'enfouissement de la Métropolitaine.

Or oubliez ça. Cette autoroute surélevée est certes horrible et a besoin d'une réfection majeure, mais, soyons honnêtes, elle est trop loin du centre pour justifier qu'on l'enterre à coups de milliards.

Je suis donc parti à Boston avec scepticisme, pensant revenir avec bien des projets inspirants pour Montréal, mais pas le Big Dig.

Je me trompais.

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Le prétexte du Big Dig était de remédier à la congestion, mais l'objectif était la revitalisation.

Dans les années 80, Boston était une ville minée par de nombreux et sérieux problèmes, le plus visible étant cette horrible infrastructure qui déchirait le centre-ville.

Pas moins de 38 voies routières se déversaient dans une simple autoroute de six voies, un corridor surélevé qui était la honte de Boston et le cauchemar des automobilistes qui devaient subir la congestion du matin au soir.

«Il fallait une heure pour parcourir 2,5 milles (4 km), se rappelle Virginia Greiman, professeure à la Boston University et auteure du livre de référence sur le Big Dig, Mega Project Management. Il y avait peu de sorties, pas de voie d'accotement. On n'avait pas de cellulaire à l'époque. Il fallait donc sortir de l'auto et crier pour que les pompiers viennent nous aider quand on avait un pépin! C'était l'enfer!»

Tout le monde savait qu'il y avait un problème. Mais seules quelques personnes y ont vu une occasion de relance pour la ville. Elles ont ainsi poussé pendant des années pour un projet qui en englobait trois: l'enfouissement d'une autoroute surélevée (I-93), le prolongement en tunnel d'une autoroute vers l'aéroport (I-90) et la construction d'un pont à haubans sur la rivière Charles (le Zakim Bridge).

Un superbe projet qu'on évaluait à 2,6 milliards en 1985 et qu'on prévoyait terminer en 1998. Il a finalement été inauguré sept ans plus tard, un chantier de 15 ans qui a coûté près de 15 milliards US, soit six fois l'estimation de départ...

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Mais quel résultat époustouflant! La vitesse moyenne sur l'autoroute principale est passée de 16 à 69 km/h. La qualité de l'air s'est améliorée. De nouveaux quartiers ont surgi, d'autres ont connu une impressionnante relance. Et la ville s'est retrouvée avec suffisamment d'espaces supplémentaires pour construire en hauteur et créer un superbe ruban de parcs de 2,4 km qui serpente à travers le centre-ville, le fameux Greenway.

«Une fois de temps en temps, je m'arrête et je prends le temps de regarder l'eau au loin, raconte James E. Gillooly, qui a travaillé pendant des années sur le Big Dig. Avant, on ne voyait que cette énorme barrière de béton. Aujourd'hui, on profite d'une ville métamorphosée.»

À terme, ce projet aura entraîné des investissements privés de 7 milliards de dollars. Il aura gonflé les coffres de la Ville. Il aura accru la fierté des Bostoniens (une fois terminé...). Et il aura permis de recoudre le coeur de la ville.

«Les gens qui résidaient de part et d'autre de l'ancienne autoroute ne se croisaient pas, explique Virginia Greiman, qui a agi à titre de deputy counsel et de risk manager sur le Big Dig. Aujourd'hui, ils se rencontrent sur le Greenway et découvrent même des parties de la ville qu'ils ne connaissaient pas avant.»

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Dans le fond, quand on y pense, on a de la chance à Montréal. On a déjà complété le plus dur, on a déjà réalisé la partie la plus complexe et la plus coûteuse du Big Dig: on a enfoui la voie rapide qui coupe le centre-ville en deux, l'autoroute Ville-Marie. Ne reste plus qu'à la recouvrir.

Il ne reste plus, en effet, qu'à lui mettre un plafond pour profiter de la plupart des bénéfices du Big Dig sans en payer le prix astronomique.

L'inspiration, elle est là. Dans ce Greenway bien de chez nous qui engloberait le square Viger. Dans cette superficie additionnelle qui nous permettrait, ici aussi, de densifier le centre-ville et d'accroître les recettes fiscales de la Ville. Dans cette relance d'un secteur en mal d'amour dont le CHUM peut être la bougie d'allumage. Dans cette amélioration de la qualité de l'air, de l'aménagement urbain et de la qualité de vie dans un corridor urbain stratégique liant la vieille et la nouvelle ville.

Bref, notre projet pharaonique, il ne le serait pas vraiment, car déjà, il est à moitié achevé. Il suffirait de profiter du recouvrement partiel attendu pour 2017 pour prévoir la suite, un projet plus imposant, plus ambitieux, notre propre Big Dig. Sans la «big» facture.