Les dirigeants syndicaux ont raison: le projet de loi sur les régimes de retraite est rigide, contraignant. D'où cette fâcheuse impression que le gouvernement cherche à mater une bande de privilégiés.

Remarquez, l'attitude de matamore peut plaire aux plus furieux, surtout depuis le saccage de lundi. Mais il faut se rappeler que le but n'est pas de mettre les syndiqués au pas, plutôt de les faire participer au renflouement et à la survie de leurs propres régimes de retraite.

Un peu de souplesse dans les moyens serait peut-être de mise, donc, pour arriver à l'échéance fixée par le gouvernement... sans trop de séquelles sociales. Une flexibilité que l'ouverture de la commission parlementaire et d'un débat plus respectueux permet d'envisager.

Le ministre Pierre Moreau pourrait lâcher du lest en permettant d'étaler le paiement des déficits passés, par exemple. Il pourrait lever l'approche «mur à mur» du projet de loi pour certains régimes particuliers, comme celui des contremaîtres à Montréal. Il pourrait, parallèlement, assujettir le régime de retraite des élus au partage 50-50 qu'il exige des syndiqués.

Bref, il pourrait être un peu plus souple sur les moyens... à condition de demeurer bien ferme sur l'objectif.

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Oubliez la pleine capitalisation. Oubliez le fonds de stabilisation. S'il y a une chose à retenir du projet de loi 3, c'est l'obligation de résultat et le délai fixé pour y parvenir.

Le reste a son importance, mais l'encadrement serré que le gouvernement impose aux négociations à venir est LA pièce de résistance, LE fameux objectif sur lequel il doit rester ferme.

Depuis le début du débat, on entend partout que le trou dans lequel se trouvent les régimes - et donc les contribuables - est dû au contexte démographique et aux crises économiques survenues depuis 2000. C'est vrai. Mais il y a plus que ça.

Il y a aussi le fait qu'à chaque négociation passée, les maires ont dû se battre avec des tire-pois contre des syndicats armés de bazookas. Les règles du jeu ont toujours désavantagé les municipalités, qui ont souvent dû plier.

Pour un maire qui s'est écrasé pour des raisons électoralistes, combien ont dû capituler parce que les dés étaient pipés en leur défaveur? Combien ont dû s'incliner parce qu'ils n'avaient pas de droit de lock-out, pas le pouvoir de forcer le retour au travail, pas la capacité d'imposer des conditions de travail? Combien ont dû se résigner à laisser l'arbitre trancher en sachant qu'il avait de très bonnes chances de le faire en faveur des syndicats?

Prenez le critère de l'«équité externe» qui doit guider les arbitres lorsqu'ils ont à régler un litige avec les policiers. En gros, ça veut dire qu'ils doivent accoter les conditions de travail des agents les mieux payés de la province. Il suffit donc qu'une municipalité lève la barre... pour que les autres soient forcées de suivre!

Ajoutez à cela la frousse de certains maires devant l'intimidation et le désordre social. Ajoutez le fait que les employés municipaux ont été épargnés par les compressions de 20% imposés aux fonctionnaires en 1982. Ajoutez les fusions municipales qui ont elles aussi haussé la barre pour une partie des syndiqués. Et vous obtenez une rémunération globale qui dépasse celle des employés de l'État de 32 à 46% selon la catégorie d'emplois.

Les syndicats sont certainement de bons négociateurs, mais avouons que c'est plus facile quand l'autre partie a les mains liées...

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L'objectif du projet de loi n'est donc pas de mater les syndicats, encore moins de les mettre à genoux devant les municipalités, mais bien de rééquilibrer ponctuellement le rapport de forces entre les parties afin qu'ils en arrivent à une entente raisonnable pour tous.

Certains estiment que ce n'est pas nécessaire, que les syndicats sont aujourd'hui plus conciliants qu'avant. Ils comprennent le contexte et sont prêts à signer des conventions collectives «réalistes», selon mon collègue du Soleil François Bourque, dans lesquelles ils acceptent de revoir les acquis.

Peut-être à Québec, mais pas à Montréal. Il y a maintenant trois ans que la Ville a entamé des négociations avec ses syndicats dans le but de mieux partager les coûts et les risques des régimes de retraite.

À ce jour, combien ont formellement signé? Un seul, celui des cols bleus. Et néanmoins, sur toutes les tribunes, on évoque l'exemple des bleus comme preuve ultime d'une nouvelle approche conciliante...

Ça n'est pas sorcier, sans obligation de résultat, sans un encadrement strict visant notamment le partage de la facture 50-50, sans l'établissement de critères plus sévères pour guider les arbitres en cas d'échec des négos, on ne fera que répéter le même sempiternel scénario: toute concession est largement compensée par de généreux gains ailleurs.

Le but avec le projet de loi est de renflouer un trou de 4 milliards et de réduire ainsi le fardeau et les risques qui pèsent sur les contribuables. Sans un encadrement serré, on ne fera que creuser un autre trou plus loin.