Il y a un peu plus de 30 ans, le maire Jean Drapeau avait profité de la visite du premier ministre René Lévesque pour le tirer par la manche jusqu'à la terrasse de l'hôtel de ville. Il voulait lui montrer le magnifique panorama sur le centre-ville, mais surtout... la plaie que représentait l'autoroute Ville-Marie.

Une plaie, hélas, qui est tout aussi béante aujourd'hui qu'en 1983, dans un secteur historique et névralgique qui fait peine à voir.

Pourtant, le maire Drapeau avait convaincu René Lévesque. De retour à Québec, ce dernier avait mis sur pied un comité interministériel, lequel a accouché deux ans plus tard d'un volumineux rapport qui recommandait le recouvrement de l'autoroute entre le Palais des congrès et la rue Sanguinet.

Mieux, il suggérait la construction d'immeubles en lieu et place du trou ainsi que l'établissement d'un pôle d'attraction, un vaste projet (évalué à 12 millions!) qui n'a jamais vu le jour: le PQ a perdu le pouvoir la même année, en 1985.

Trente ans plus tard, ironiquement, c'est parce que le PQ a perdu le pouvoir que l'administration municipale se remet à rêver au recouvrement de l'autoroute, projet auquel le gouvernement Marois avait opposé une fin de non-recevoir. Mais c'est surtout parce que le maire actuel a compris que le mieux est l'ennemi du bien.

À viser trop haut, trop gros, dans les dernières décennies, ses prédécesseurs ont fini par multiplier les études et les projets sans gagner un pouce de recouvrement à l'est de la rue Saint-Urbain.

L'étapisme du maire Coderre, qui propose d'y aller par tronçons, est donc de bon aloi, surtout dans un contexte où les besoins sont grands.

Main dans la main avec le chef de l'opposition, Richard Bergeron, le maire profite donc de la construction du CHUM pour en concevoir le parvis, en quelque sorte, en commençant par la section comprise entre la rue Sanguinet et l'avenue de l'Hôtel-de-Ville.

Le projet ne fait que 150 m, certes, mais il a le mérite d'avoir convaincu un gouvernement qui se fait chiche par les temps qui courent.

Certains se désolent de ce que le projet ne fasse pas plus de deux pâtés de maisons, mais après trois décennies de surplace, on devrait plutôt se réjouir de faire un pas en avant, aussi petit soit-il.

ODE À LA BANALITÉ?

On est maître de ce qu'on écrit dans le journal, mais pas des interprétations qu'on en fait... Mon texte sur Montréal l'anti-Bilbao, publié la semaine dernière, a beaucoup fait réagir. Il a été applaudi par certains, mais aussi descendu en flammes par d'autres, qui m'accusent d'avoir pondu «une ode à la banalité».

Or au contraire, il s'agissait d'une ode à la créativité, à l'originalité et à l'audace... sans feu d'artifice. C'est la richesse de Montréal, à mon avis, ce sur quoi Montréal doit miser pour continuer à se distinguer. Seulement, pas besoin d'une créativité grandiloquente, d'une originalité monumentale, d'une audace qui pétarade, comme celle qui a fait la renommée de Bilbao. Pas besoin, autrement dit, d'un Frank Gehry ou d'un Santiago Calatrava.

Plutôt que de rêver à une architecture iconique pour se distinguer, plutôt que d'espérer une architecture qui entraîne la transformation identitaire, plutôt que d'attendre le coup d'éclat qui la placera «sur la map», la métropole peut se payer le luxe d'une architecture du détail qui ne force pas l'admiration au premier regard, qui mise sur l'amélioration du cadre bâti et de la qualité de vie plus que sur l'admiration de ses visiteurs. Je ne m'oppose donc pas à «l'architecture de qualité», pas plus qu'à la «starchitecture», mais je ne crois pas nécessaire que l'architecture porte une signature internationale pour trouver une place de choix à Montréal.

Bref, je ne cherche pas la fadeur, mais la valeur de l'architecture bien ancrée dans ce qui fait la richesse de Montréal: non sa grandiloquence ou sa monumentalité, mais sa créativité et son originalité.

MONTRÉAL, VILLE HYPER-DÉCENTRALISÉE?

Une prémisse me semble douteuse dans le débat sur le financement des arrondissements. Certains commentateurs soutiennent que Montréal est une ville hyperdécentralisée, donc qu'il importe de la centraliser puisqu'elle est si décentralisée.

Voyons voir. Les arrondissements dépendent à plus de 90% de leur dotation, c'est-à-dire de l'argent que consent à leur donner... la ville centre. De 2009 à 2012, ils ont dû vivre avec la stagnation de ces sommes, une décision prise unilatéralement par... la ville centre. Plus de la moitié des dépenses des arrondissements vont dans les salaires et autres avantages de la convention collective négociée par... la ville centre.

Vrai, les arrondissements ont le droit de percevoir leur propre impôt foncier local, ce qui est souvent présenté comme la preuve ultime de la décentralisation de Montréal, mais ils ne retirent en moyenne de cette ponction qu'à peine... 2% de leur budget.

Les arrondissements, des «royaumes» autonomes dirigés par des «roitelets» ? Vraiment?