Le maire Denis Coderre a décidé de ficher la paix aux résidants de Saint-Michel. Et il a bien fait.

Pendant 40 ans, les voisins de l'ancienne carrière Miron ont vu passer sous leur nez des millions de camions à ordures. Ils ont eu à subir les désagréments liés aux millions de tonnes de déchets enfouis dans leur cour. Ils ont été incommodés par le million de nuisances liées à la présence d'un dépotoir à ciel ouvert.

Et pour les remercier de s'être ainsi sacrifiés en accueillant les déchets de la ville pendant des décennies, Montréal avait décidé, il y a deux ans, de construire sur précisément le même terrain... un centre de traitement des ordures!

Mais attention, ce seront des ordures «vertes», avait-on ajouté pour faire passer la pilule, de simples déchets de table qui n'émettront aucune odeur lorsqu'ils seront traités dans un beau centre de compostage fermé. Un peu plus, et on leur promettait des camions à ordures carburant à l'huile d'eucalyptus...

La décision de l'administration Tremblay, disons-le, était indéfendable.

Personne ne veut un site de traitement de déchets dans sa cour, on s'entend là-dessus. Mais certains méritent moins que d'autres d'en avoir, ceux-là étant les résidants de Saint-Michel, à qui on a fait toutes sortes de promesses lorsqu'on a mis fin à l'enfouissement il y a 25 ans.

On a attiré dans le coin la TOHU et le Cirque du Soleil. On a lancé une vaste réflexion sur la densification et l'animation de la rue Jarry. Et surtout, on leur a promis un magnifique parc pour le 375e de la métropole, le plus grand de l'île après le mont Royal.

Y ajouter un centre de compostage après coup revenait à nier l'effort fourni, à effacer l'histoire du quartier de la mémoire sociale de la ville.

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L'hyperactif Denis Coderre a annoncé hier, lors de sa troisième annonce en trois jours, qu'il mettait donc une croix sur le site Saint-Michel, lui préférant un nouveau terrain plus à l'est (en fait plus au nord), dans Pointe-aux-Trembles.

Il a fallu tordre un tout petit peu le principe de l'équité territoriale, mais franchement, il était difficile de trouver mieux...

Le terrain borde l'autoroute Métropolitaine, ce qui réduira les déplacements par camions. Il est à 1,5 kilomètre de la résidence la plus proche, soit trois fois la limite acceptable. Il appartient à la Ville, ce qui évite les expropriations.

Et il se trouve dans un secteur industriel qui, avouons-le, peine à se relever. On en a eu une preuve de plus, avant-hier, avec la fermeture de l'usine Energizer, rue Notre-Dame. Le manufacturier vit des soubresauts, et l'est aussi par le fait même.

La construction d'une usine de compostage, dans ce contexte, est intéressante. Surtout qu'on y adjoindra une chaire de recherche sur la valorisation des matières résiduelles rattachée à Polytechnique.

Sans renverser la tendance observée dans le manufacturier, cela apporte un peu de «vert» dans un secteur économique et géographique qui en a besoin. Le manufacturier de demain, en effet, ne sera pas fait d'usines crachant leur fumée noire, mais bien de microélectronique, de produits plastiques performants, d'énergie solaire... et de technologies de valorisation des déchets.

L'usine de compostage a donc bien plus sa place dans un parc industriel tourné vers l'avenir que sur une ancienne décharge bordant un quartier résidentiel.

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Cela dit, il y avait une petite surprise dans l'annonce d'hier: le centre de compostage de feuilles actuellement en service dans Saint-Michel, qui devait disparaître au profit de la nouvelle usine, demeurera sur place.

Pour Projet Montréal, cela est un non-sens: on met une croix sur la future usine fermée, mais on garde sur place le centre de compostage à ciel ouvert.

Pas d'accord. Les désagréments liés à l'usine auraient été plus importants que le statu quo.

Le centre traite annuellement 12 000 tonnes de feuilles, alors que l'usine aurait accueilli 29 000 tonnes de déchets. Moins de camions circulent autour du centre qu'il n'en aurait circulé autour de l'usine. Les déplacements autour du centre se concentrent sur six semaines (lors de l'enlèvement des feuilles mortes), alors qu'ils se seraient étalés sur toute l'année autour de l'usine (grâce à la collecte régulière des bacs bruns).

Il est vrai que le centre à ciel ouvert dégage plus d'odeur qu'une usine fermée. Mais relativisons: les montagnes de feuilles mortes ne sentent rien, sauf quand elles sont brassées, ce qui arrive une demi-douzaine de fois par année. Et le cycle complet du traitement des feuilles ne dure que six mois, pas plus, alors que l'usine aurait fonctionné douze mois sur douze.

Dans un monde idéal, évidemment, le centre disparaîtrait. On pourrait d'ailleurs y songer à long terme. Mais son maintien n'en constitue pas moins un gain pour Saint-Michel par rapport à la construction d'une nouvelle usine qui aurait traité trois fois plus de déchets.

Le quartier a besoin de davantage de paix, pas de moins.

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