C'est dommage.

La Ville de Montréal a voulu aller trop vite, elle a bâclé son travail, elle s'est lancée dans une improvisation ayant pour titre «ouvrons les bars jusqu'à 6h juste pour voir»...

Et donc, face à un tel manque de sérieux, la Régie des alcools, des courses et des jeux a statué qu'elle ne pourra pas ouvrir les bars jusqu'à 6h. Juste pour voir.

C'est dommage, car l'idée lancée par le maire Coderre était très bonne, à la base. Non pas celle d'ouvrir les bars plus tard comme telle, mais celle d'organiser un projet-pilote pour évaluer la pertinence d'ouvrir les bars plus tard.

Une telle mesure avait le potentiel de réduire les problèmes liés aux sorties de bars massives à 3h, en plus de renforcer l'image européenne de Montréal, l'image d'une ville excitante, une ville permissive qui sait s'amuser.

D'ailleurs, si Boston envisage de prolonger l'ouverture de ses propres bars de 1h à 3h30, comme l'a suggéré son maire ces dernières semaines, c'est précisément parce qu'il s'agit d'un argument de vente de plus sur la scène nord-américaine.

Un argument qui aurait eu le mérite de distinguer un peu plus Montréal de Toronto.

Mais voilà, l'état de préparation de la Ville frôlait le néant, soit parce qu'il ne s'est pas écoulé assez de temps entre l'idée (formulée en mars) et les audiences de la Régie (tenues la semaine dernière), soit parce que les fonctionnaires n'ont pas pris leur tâche suffisamment au sérieux.

D'une façon ou d'une autre, les régisseurs, qui auraient eu raison de voir cette improvisation comme un manque de respect pour leur institution, ont carrément rembarré la Ville.

«Nous constatons, écrivent Saifo Elmir et Daniel Y. Lord, que la conception et la planification d'un projet d'une telle importance et d'une telle sensibilité pour la population sont déficientes.»

***

Il importe de le souligner, ce n'est pas le projet-pilote que la Régie a coulé, projet qu'elle qualifie d'ailleurs de «bonne idée en soi», mais bien la Ville, qui n'a clairement pas fait ses devoirs.

Plusieurs ont été surpris par la décision des commissaires, hier soir, croyant à tort qu'une telle mesure profiterait d'un «rubber stamp». Mais bien franchement, la décision s'imposait d'elle-même pour qui a pris connaissance des deux jours d'audiences, jeudi et vendredi derniers.

Le fonctionnaire qui représentait la Ville était si peu préparé qu'il semblait avoir été tiré du lit pour défendre un dossier qu'il ne connaissait pas la veille.

Quel est l'objectif du projet-pilote? lui ont demandé MM. Elmir et Lord. Le maire Coderre a dit qu'il voulait un projet-pilote, a-t-il répondu en substance.

Pourquoi mener un tel exercice? Parce que certains disent que ça pourrait réduire les problèmes à la sortie des bars...

Et avez-vous pris connaissance des résultats de projets-pilotes similaires à l'étranger? Non, pas du tout.

Un manque de préparation et de sérieux patent pour un représentant officiel frappant à la porte d'un tribunal administratif pour suspendre une loi existante.

***

La Régie, dont le mandat est d'«assurer la sécurité, la tranquillité et l'intérêt publics», a donc fait ce qu'elle se devait de faire: rappeler la Ville à l'ordre. Un rappel à l'ordre que le maire Coderre devrait «prendre personnel», ayant personnellement lancé le projet.

Un maire peut certes avoir des idées, les tester, les réaliser sans avoir à passer par 18 études de préfaisabilité, des comités de réflexion et de rétroaction et des grand-messes réunissant tous les partenaires et les parties prenantes.

Mais entre l'hyperplanification à la Gérald Tremblay et l'improvisation manifestée dans ce dossier par Denis Coderre, un juste milieu doit être atteint.

Toute idée proposée doit, à tout le moins, faire l'objet d'une proposition sérieuse, réfléchie et documentée. Elle doit être soumise à un minimum de consultation ou de débat. Et elle doit être encadrée par des critères et des objectifs précis.

Comprenez-moi bien, le maire n'a pas besoin de passer devant l'Office de consultation publique chaque fois qu'il émet la moindre intention, mais il ne peut pas dicter ses projets au gré de ses envies, simplement en refilant un brouillon aux fonctionnaires. Pas dans une ville qui se veut métropole.