À l'adolescence, mes parents m'ont fait comprendre qu'on ne naît pas tous égaux. Que certains sont davantage favorisés que d'autres, pas tant par la génétique que par le milieu.

Ainsi, me rappelait-on, les enfants qui naissent à Westmount peuvent espérer vivre 10 ans de plus que ceux d'Hochelaga-Maisonneuve. Bref, naître dans la ouate est une meilleure idée que de voir le jour dans un milieu pauvre, où l'alimentation, les habitudes de vie (cigarette, alcool, sport, etc.) et l'éducation sont moins enviables.

Pourquoi je vous en parle ? Eh bien parce que Statistique Canada a récemment publié de nouvelles données sur l'espérance de vie, qui nous indiquent où il est préférable de naître au Canada, en quelque sorte. Et aussi parce que cet indicateur est intimement lié à la santé socioéconomique d'un pays, d'une région, d'une ville.

Qu'il suffise de rappeler, par exemple, que des pays riches comme la Suisse, l'Australie ou la Suède (et le Canada), avec des systèmes de santé et d'éducation solides, ont des espérances de vie de plus de 82 ans, soit de 20 à 30 ans de plus que des pays pauvres comme le Tchad, la Somalie et l'Afrique du Sud. Et que malgré leur richesse, les États-Unis ont une espérance de vie de trois ans inférieure au Canada.

Les récentes données de Statistique Canada ne sont pas ventilées par quartier, mais elles le sont par province. Et elles sont remarquables pour le Québec, dont on critique souvent le plus faible niveau de vie que dans certaines provinces comme l'Alberta, par exemple.

Ainsi, le Québec vient maintenant au 3e rang canadien pour l'espérance de vie, à 82,4 ans, à un poil de l'Ontario et de la Colombie-Britannique (82,5 ans), au sommet. La riche Alberta suit, avec presque un an de moins (81,5 ans). Pour les autres provinces, il faut retrancher une autre année et demie, en moyenne (80,2 ans).

À Statistique Canada, on m'indique qu'aucune analyse n'a été faite pour expliquer l'écart entre les provinces. De façon globale, l'espérance de vie a augmenté au fil des décennies en raison de la diminution de la mortalité infantile et maternelle, ainsi que de la baisse des maladies cardiovasculaires, entre autres.

De plus, la hausse de l'espérance de vie est jumelée à une amélioration du niveau de vie, lequel est accompagné d'une meilleure éducation et d'une meilleure alimentation, d'une baisse marquée du tabagisme, d'une hausse de l'activité physique et d'un meilleur accès à des soins de santé de qualité, entre autres.

À ce titre, justement, c'est le Québec qui a bénéficié de la plus forte hausse de l'espérance de vie depuis un quart de siècle.

Les bébés qui naissent aujourd'hui peuvent espérer vivre 82,4 ans, soit 5,1 années de plus que ceux qui voyaient le jour au début des années 90. La hausse canadienne moyenne est de 4,3 ans.

Le bond est particulièrement important chez les hommes du Québec (+ 6,7 ans), surtout quand on le compare à celui de certaines provinces comme la Saskatchewan (+ 2,6 ans), le Manitoba (+ 3,3 ans) et l'Alberta (+ 4,3 ans). Plus encore, le rattrapage du Québec s'est accéléré ces dernières années : la hausse de l'espérance de vie a été deux fois supérieure à celle des autres provinces depuis 10 ans (en excluant l'Ontario) et trois fois supérieure depuis cinq ans.

Ainsi, alors que les bébés nés au Québec il y a un quart de siècle devaient prévoir mourir plus jeunes que leurs amis de six des huit autres provinces recensées, aujourd'hui, c'est exactement l'inverse. L'écart est frappant avec la Saskatchewan : l'espérance de vie des Québécois était d'un an de moins en 1992 et elle est aujourd'hui de 2,2 ans de plus !

Le point de bascule est l'année 2005, lorsque l'espérance de vie des Québécois a dépassé la moyenne canadienne, puis creusé l'écart par la suite.

Oui mais, me direz-vous, l'important n'est pas de vivre vieux, mais de vivre en santé le plus longtemps possible. Justement, Statistique Canada a publié des données qui se révèlent encore plus intéressantes pour le Québec. L'organisme mesure l'indice de l'état de santé selon huit attributs autodéclarés que sont la vision, l'ouïe, la parole, la mobilité, la dextérité, l'émotion, la cognition et la douleur.

Ainsi, globalement, la part des années que les Canadiens peuvent espérer vivre en santé correspond à environ 86,5 % de l'espérance de vie chez les hommes et 84 % chez les femmes. Dit autrement, une femme canadienne peut espérer vivre 70,5 ans en santé, soit 84 % de son espérance de vie de quelque 84 ans. Les hommes ? C'est 69 ans, soit 86,5 % de 80 ans.

Cette analyse d'avril 2018 porte sur les chiffres de 1995 à 2015 et elle nous permet de constater que cette part est à peu près constante dans le temps.

Les données ne sont pas ventilées par province. Toutefois, selon une précédente analyse sur les données de 2007, le Québec arrive au premier rang canadien pour la part de l'espérance de vie qui se fait en santé.

Essentiellement, cette part est de 89,1 % chez les hommes et 87,4 % chez les femmes, soit davantage que celle de toutes les autres provinces. Pour cette précédente étude, la moyenne canadienne était de 88 % chez les hommes et 85,8 % chez les femmes.

J'ai souvent écrit que le Québec a un niveau de vie un peu inférieur à la moyenne canadienne et que le moteur de ce niveau de vie, soit la productivité, connaît des ratés importants. Néanmoins, il faut reconnaître que notre système, plus égalitaire, a donné des fruits fort impressionnants ces dernières années au chapitre de l'espérance de vie. Ce n'est quand même pas un détail...