La chronique de Michel Girard, du Journal de Montréal, m'a secoué. Samedi dernier, il affirmait que les femmes avaient mis la main sur seulement 4,6 % des emplois créés au Québec en 2017.

Plus largement, il souligne que depuis la prise de pouvoir du gouvernement Couillard, en avril 2014, les femmes n'ont obtenu que 29 % des emplois créés. Cette disette serait d'autant plus « catastrophique », écrit-il, qu'au Canada, les femmes ont plutôt obtenu 48 % des emplois durant cette période, soit l'équivalent de leurs poids sur le marché du travail.

Selon lui, le marché du travail au Québec néglige les femmes, et le gouvernement libéral devrait s'y attaquer en priorité.

Cette conclusion tranchante m'a incité à fouiller la question, puisqu'elle soulève un enjeu important : les politiques des libéraux sont-elles discriminatoires ? La conclusion de Michel Girard nous rappelle l'étude de l'Institut de recherche et d'informations socioéconomiques (IRIS) selon laquelle l'« austérité libérale » a été faite sur le dos des femmes, qui ont souffert plus lourdement des compressions.

J'ai donc passé les données de l'emploi au peigne fin. Or, étonnamment, j'en viens à la conclusion inverse, ou presque : ce sont bien davantage les hommes qui ont souffert durant les deux années de restrictions libérales, selon les données de Statistique Canada.

Et depuis la fin des compressions, au printemps 2016, le marché du travail a été plus favorable aux hommes, mais c'est parce que les hommes sont en mode rattrapage sur la période précédente, entre autres. Je ne m'attendais vraiment pas à cela, mais les données sont très claires.

Voyons voir.

Au plus fort de la période sombre des compressions, soit d'avril 2014 à mars 2016, le taux de chômage des hommes était de 8,7 %, comparativement à 6,5 % pour les femmes, soit un écart de 2,2 points de pourcentage. En soi, cette différence favorisant les femmes, bien qu'éloquente, n'est pas suffisante pour tirer une conclusion, puisque le taux de chômage des femmes est plus bas que celui des hommes depuis de très nombreuses années.

Pour conclure, il faut plutôt voir si cet avantage historique des femmes a piqué du nez pendant les deux années difficiles. Or, c'est tout le contraire : l'écart s'est accru en faveur des femmes.

Durant les deux années ayant précédé l'arrivée des libéraux, élus en avril 2014, le taux de chômage des femmes était 1,6 point de pourcentage plus bas que celui des hommes. Pendant l'austérité, il est devenu 2,2 points plus bas, à 6,5 %, ce qui a donc accru leur avance.

Surprenant, non ?

Après les compressions, soit entre avril 2016 et décembre 2017, l'écart favorisant les femmes s'est rétréci à 1,1 point de pourcentage, les hommes rattrapant le retard historique1.

Oui, mais, direz-vous, peut-être que ces soubresauts sont un phénomène pancanadien, qui n'a rien à voir avec la situation du Québec. Eh bien, non : l'écart de chômage entre les hommes et les femmes est demeuré stable durant toute la période au Canada, contrairement au Québec.

Oui, mais, me direz-vous encore, vos conclusions auraient été différentes si l'on avait tenu compte des très nombreuses femmes qui ont abandonné la recherche d'emploi durant l'ère austère, devenant inactives et exclues des chiffres de chômage. Ce phénomène est bien connu des économistes. Eh bien, non, encore une fois : la proportion de femmes actives est restée stable, ce sont plutôt les hommes qui sont devenus proportionnellement moins actifs.

Cela dit, il est difficile d'associer précisément le recul des hommes aux mesures de compression ou autres, mon analyse des emplois par secteur ne me permettant pas de dégager de tendances nettes. Il est clair toutefois qu'il est propre au Québec.

Comment expliquer alors les 4,6 % d'emplois aux femmes de Michel Girard en 2017 ? D'abord, il faut définir les concepts : les chiffres de Statistique Canada ne mesurent pas les emplois créés et encore moins ceux destinés aux femmes.

Les données révèlent plutôt le nombre total d'emplois occupés par la population d'une année à l'autre, nombre total duquel plusieurs déduisent le nombre d'emplois « créés ».

En prenant les variations de décembre 2017 sur décembre 2016, on constate qu'effectivement, les postes occupés par les femmes ont crû de 3900, soit 4,6 % du total. Si l'on utilise plutôt la moyenne annuelle des emplois entre 2016 et 2017, qui est plus fiable, cette part passe à 28 %.

Deux raisons semblent expliquer cette proportion moindre. D'abord, les hommes avaient un important retard à rattraper, étant plus nombreux à chômer. Pendant ce temps, les femmes étaient déjà en situation de plein emploi, ou presque.

Depuis 27 ans, faut-il savoir, le taux de chômage des hommes est plus élevé que celui des femmes. Cette situation s'est inversée au quatrième trimestre de 2017.

Deuxième élément : le vieillissement de la population. Les femmes prennent leur retraite à un plus jeune âge que les hommes. Or, comme le bassin de travailleurs vieillit, les postes occupés par les hommes augmentent par rapport à celui des femmes après l'âge de 45 ans.

Les femmes ne sont pas en reste pour autant. Elles ont fait des gains dans des secteurs bien rémunérés, comme la finance ou le génie, alors que les hommes en ont fait dans des secteurs moins payants, comme la restauration et l'hébergement.

Résultat : le salaire des femmes a augmenté deux fois plus vite que celui des hommes dans la dernière année.

Bref, je ne suis pas d'avis que le marché du travail boude les femmes. Surtout, je ne crois pas que le gouvernement doit tenter de mettre un sexe sur le type d'emplois qu'il tente de créer.

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L'analyse des écarts de taux d'emploi confirme cette analyse du chômage, soit que le marché du travail a été plus défavorable aux hommes qu'aux femmes durant la période d'austérité, et nettement.