Boeing a remporté la première bataille, hier. L'imposition d'un droit temporaire de 220 % sur les avions C Series de Bombardier lui bloquera toute vente aux États-Unis, éventuellement.

La situation n'est toutefois pas désespérée. Pour gagner la guerre, Boeing doit non seulement prouver que les avions montréalais sont subventionnés, mais également que ces subventions lui portent préjudice. Sans ces préjudices, pas de droit de 220 %.

Or, la plupart des observateurs, même américains, jugent que Boeing ne subit aucun préjudice dans cette affaire. Et qu'au bout du compte, c'est Bombardier qui gagnera la guerre devant les instances internationales.

Problème réglé ? Malheureusement pas.

Même si Boeing a finalement tort, même si une décision défavorable des autorités américaines est battue devant les tribunaux internationaux, les démarches de Boeing continueront de nuire passablement à Bombardier.

Pourquoi ? Parce que ces démarches prolongent l'incertitude autour de l'entreprise. Et que ce temps qui passe lentement, trop lentement dans les dossiers juridiques, érode le pouvoir de négociation de Bombardier face à ses clients et ses financiers.

Je m'explique. En pratique, la décision d'hier n'a aucun impact sur les finances de Bombardier, puisque les droits de 220 % ne seront imposés à aucun client, Bombardier ne prévoyant pas livrer ses premiers avions avant le printemps à l'américaine Delta Airlines, soit après une décision finale, vraisemblablement.

Boeing, pour gagner sa cause, doit prouver que le contrat de Bombardier avec Delta le prive de revenus et de profits, qu'il lui cause des dommages. Les auditions à ce sujet débuteront en décembre devant la US International Trade Commission.

La tâche de Boeing sera ardue : le contrat avec Delta concerne des avions de 100 à 135 places, un créneau qu'il n'occupe pas. Pire : le constructeur américain n'a même pas soumissionné pour ce contrat. Où sont les dommages ?

Le hic, c'est que le tribunal du commerce a souvent été chauvin dans ses décisions. « Il est fort probable qu'ils favorisent l'industrie nationale, au final », affirme Bernard Colas, de la firme CMKZ, spécialisée en droit du commerce international.

L'avocat donne l'exemple du bois d'oeuvre. À maintes reprises, les instances américaines ont donné tort au Canada, jugeant que nos 2 par 4 prétendument subventionnés causaient des dommages aux entreprises américaines. Des droits compensatoires et antidumping ont été imposés aux entreprises canadiennes à la suite de ces décisions.

Or, au fil des ans, le Canada a contesté ces décisions, et les arbitres ont toujours donné raison au Canada, pour l'essentiel, tant devant l'Organisation mondiale du commerce (OMC) que devant le comité binational constitué en vertu de l'ALENA (chapitre 19).

Ces procédures exigent toutefois de très longs mois d'attente. Selon Bernard Colas, il faut calculer environ deux ans de procédures devant l'OMC, auxquels il faut ajouter un an si la décision est portée en appel. Même chose pour la procédure en vertu de l'ALENA.

Pendant ce temps, le marché américain deviendrait probablement fermé à Bombardier, en pratique. Quand on connaît l'importance du marché américain, ce serait un dur coup. Actuellement, Delta est de loin le plus gros client de Bombardier, avec près du quart des commandes de C Series.

Ce qui nous amène aux autres clients internationaux de l'organisation. Entre la signature d'une commande ferme et la livraison, il faut calculer des mois, sinon des années. Face au blocage américain - même déraisonnable -, les clients européens et chinois seront-ils aussi enclins à accorder leur confiance à Bombardier ?

Oui, l'avion est en quelque sorte révolutionnaire, mais aux yeux des clients, Bombardier aura-t-elle les reins assez solides pour se rendre jusqu'à la livraison ? Et pour assurer, par la suite, un service à la clientèle impeccable pendant longtemps ?

Rappelons que Bombardier doit vendre de 500 à 800 avions C Series pour atteindre le seuil de rentabilité, prévu en 2020. D'ici là, elle flambe plus de liquidités qu'elle n'en recueille avec son programme. Or, sans la commande de Delta, le carnet de C Series est de moins de 300 avions actuellement.

Bref, les procédures de Boeing grugeront à Bombardier du temps qu'elle n'a pas le luxe de perdre. Ces délais peuvent refroidir certains clients ou exiger de Bombardier qu'il leur accorde un meilleur prix, lui faisant perdre un certain pouvoir de négociation.

Malheureusement, Bombardier voit aussi son pouvoir de négociation s'éroder pour sa division des trains. La fusion annoncée de Siemens et Alstom ramène Bombardier au troisième rang des manufacturiers, loin derrière la société chinoise CRCC et l'européenne Siemens Alstom.

Les temps sont durs pour Bombardier...