Selon vous, combien coûtait le frigo qui durait 25 ans dans le bon vieux temps ? Ou le lave-vaisselle Maytag incassable ?

Je vous ai vraiment choqués, chers lecteurs, avec ma chronique sur l'obsolescence programmée, mercredi dernier.

J'y dévoilais mon scepticisme à l'égard des manoeuvres sciemment orchestrées par les grandes entreprises pour réduire la durée de vie de leurs produits.

Selon moi, la moindre durabilité des produits tient davantage aux exigences des consommateurs pour des bas prix qu'au complot des manufacturiers. Et aussi, bien sûr, au coût élevé de la main-d'oeuvre pour la réparation et à la vitesse des avancées technologiques.

Je vous concède que certains fabricants de produits électroniques peuvent avoir avantage à renouveler rapidement la version de leurs appareils et à rendre les vieux difficilement réparables (comme cette histoire de piles irremplaçables). Néanmoins, je persiste à croire que le phénomène est exagéré. Dès qu'un appareil a des ratés, hop, on l'attribue au complot des grandes entreprises.

Justement, combien coûtait le bon vieux frigo d'antan que certains des très nombreux lecteurs m'ont cité en guise d'exemple pour me convaincre de ma grande naïveté ?

Il y a différentes façons de voir les choses. Mon collègue Karim Benessaieh a comparé les prix de produits qui étaient de gamme semblable selon chaque époque en dollars constants, soit en retranchant l'effet de l'inflation. Sa source est solide : Statistique Canada. Impossible néanmoins de comparer exactement le même objet, qui a forcément évolué, petit à petit (surtout ceux qui ont connu des avancées technologiques).

Pour ma part, j'ai trouvé intéressante l'approche expliquée dans une récente étude de l'Institut Fraser, qui a calculé le temps de travail nécessaire à un travailleur canadien moyen pour se procurer divers biens courants aujourd'hui par rapport à il y a 35 ans.

L'analyse compare plus précisément l'année 2011 à l'année 1976. À l'époque, le revenu horaire moyen était de 5,30 $, somme qui est passée à 23,30 $ en 2011 (1).

Pour chacune des deux années, les chercheurs ont divisé le prix de chaque produit par ce revenu de travail, ce qui donne le nombre d'heures nécessaires pour se procurer le bien. Les produits et leurs prix viennent du catalogue Sears (2).

Alors voilà, à l'époque, il fallait travailler 137 heures pour se procurer un frigo de 730 $. En comparaison, le travailleur moyen n'avait qu'à travailler 22 heures en 2011 pour acheter le frigo « relativement » comparable à 500 $ de Sears. Autrement dit, il faut travailler six fois moins de nos jours pour acheter le même genre de frigo.

Autre exemple : un lave-vaisselle de base coûtait l'équivalent de 92 heures de travail en 1976, contre 17,5 heures en 2011, soit cinq fois moins. Un téléviseur ? 113 heures contre 12 heures de nos jours, soit 10 fois moins.

Ces biens coûtent donc relativement moins cher qu'à l'époque et il est bien possible que la durabilité en ait souffert. De plus, quand vient le temps de faire réparer le frigo, le tarif horaire demandé aujourd'hui semble prohibitif en regard du prix relatif pour un neuf, ce qui n'était pas le cas à l'époque.

Par exemple, si la réparation coûte l'équivalent de cinq heures de travail, c'est le quart du prix d'un appareil neuf aujourd'hui, contre seulement 4 % à l'époque.

D'autres biens ont connu des variations bien moindres lorsque mesurés de cette façon. Ainsi, le futon standard est seulement deux fois moins coûteux en termes relatifs. Il coûtait 135 $ à l'époque, soit 25 fois le salaire horaire moyen, contre 300 $ en 2011, soit 13 fois le salaire horaire moyen.

Constat moins tranché pour des biens qui n'ont pas connu d'avancées technologiques particulières, comme la traditionnelle toilette. Son achat correspondait à 8,5 heures de travail en 1976, contre 6,1 heures en 2011, un recul relatif de seulement 28 %.

L'analyse ne compare pas vraiment la qualité des produits offerts ni leur durabilité. Il appert cependant que le frigo type de 1976 avait vraisemblablement des matériaux plus résistants (plus d'acier et moins de plastique, par exemple) et plus faciles à remplacer, mais des fonctionnalités bien moins étendues.

Aujourd'hui, les frigos sont moins énergivores, moins lourds et permettent d'entreposer plus d'aliments pour un même volume extérieur. Idem pour les lave-vaisselle, qui consomment beaucoup moins d'eau, sont bien moins bruyants et ont plusieurs options programmables, entre autres. Et que dire de la qualité de l'image des téléviseurs ?

Nul doute que les consommateurs tiennent à plusieurs de ces fonctionnalités. En échange, les composants des biens - notamment électroniques aujourd'hui - apparaissent moins durables ou plus difficiles à remplacer.

Bref, en termes relatifs, les familles consacrent aujourd'hui une moins grande part de leur budget à l'achat de biens courants. De nos jours, cependant, le ménage moyen consomme probablement beaucoup plus de produits et services, notamment pour les télécommunications, et consacre une portion plus grande de son budget aux frais d'intérêt.

1 - L'Institut Fraser obtient le revenu horaire moyen en divisant le revenu moyen gagné par le nombre d'heures travaillées.

2 - L'Institut Fraser a comparé divers produits de 1976 et 2011 avec des caractéristiques semblables, dans la mesure du possible (grandeur, fonctions, etc.). Quand plusieurs produits d'une même catégorie étaient comparables, les chercheurs ont opté pour la gamme la moins chère.