La légalisation du cannabis créera-t-elle beaucoup d'emplois ? Ajoutera-t-elle d'abondantes recettes fiscales au Trésor public ? Créera-t-elle de la richesse ?

La question est très pertinente dans le contexte de l'intention du Parti libéral du Canada de légaliser prochainement le cannabis. Une loi pourrait être adoptée dès le printemps prochain pour une légalisation complète en 2019.

Mardi, deux chercheurs de l'Institut de recherche et d'informations socio-économiques (IRIS) ont publié une étude sur le sujet. Ils s'en remettent au cas du Colorado, cet État américain qui a rendu légal en 2014 le commerce du pot récréatif.

Les chercheurs concluent d'abord que le marché légal au Québec atteindrait 1,3 milliard de dollars au cours de la première année. Selon le chercheur Bernard Schepper, cette somme représenterait alors un peu plus de la moitié du marché global, le reste demeurant au noir. Après 10 ans, le marché légal grimperait à 3,2 milliards et accaparerait 90 % du marché total.

Les chercheurs jugent que la légalisation créerait un millier d'emplois (environ 2300 à la 10année). Surtout, ils estiment qu'elle rapporterait bien plus aux Québécois si la commercialisation était confiée à la SAQ qu'au secteur privé.

La première année, les redevances de l'État atteindraient 457 millions avec la SAQ, selon l'IRIS, contre 278 millions avec le privé. Sur 10 ans, l'État québécois empocherait 8,8 milliards contre un peu plus de 5,0 milliards avec le privé.

L'étude est intéressante, mais j'ai des réserves sur ses conclusions. D'abord, il faut rappeler que l'IRIS est très à gauche sur l'échiquier politico-économique. Son étude est d'ailleurs financée par le syndicat des employés de bureau de la SAQ.

Première réserve : l'étude omet de tenir compte des effets économiques de la perte de 1,3 milliard de revenus sur le marché noir (la première année).

Quand cette drogue sera légalisée, plusieurs « pushers » actuels perdront leur emploi illégal ou leur gagne-pain et pourraient même se retrouver, dans certains cas, aux crochets de l'État. Comme ils dépenseront moins, cela aura des conséquences sur l'économie.

Au bout du compte, il n'est pas clair qu'il y aura une création nette d'emplois significative, à consommation de cannabis égale. Nul doute que la légalisation assainira les pratiques, retranchera du milieu criminel une portion des profits et contribuera à désengorger les tribunaux, ce qui est souhaitable, mais je suis sceptique quant à un boom d'emplois.

Autre interrogation : les recettes de l'État. L'IRIS postule que la SAQ serait en mesure d'en retirer 457 millions au terme de la première année complète d'implantation. Pour ce faire, elle s'en remet au niveau de redevances (34,4 % des ventes) que la SAQ réalise avec la vente d'alcool.

Or, la SAQ est essentiellement un monopole dans la vente de vins et spiritueux. Au contraire, durant les premières années du pot légal, elle ferait face à une vive concurrence du marché noir, comme ce fut souvent le cas pour les cigarettes.

De plus, dans le cas de la SAQ, il faut ajouter à la redevance de 34 % les diverses autres taxes (TPS, TVQ, taxe spécifique, etc.) que prélève le gouvernement. Dans les faits, la ponction gouvernementale sur une bouteille de vin moyenne avoisine plutôt les 60 %, ce qu'il faudrait appliquer aussi au pot, puisqu'il sera taxé.

Le prix final d'un gramme de pot légal avec la SAQ serait donc fortement taxé, ce qui risque de favoriser le marché noir. 

Le succès du pot légal dépend notamment de son prix de vente, mais aussi de la sévérité des amendes envers le marché noir et des efforts de la police pour les appliquer, comme pour la cigarette.

À mon avis, la création d'emplois et la hausse des recettes fiscales viendraient davantage de l'augmentation de la demande pour ce produit après sa légalisation. La facilité d'accès, l'acceptabilité sociale et la baisse des coûts de production devraient faire bondir la consommation. Encore là, il faut toutefois tenir compte des effets de substitution : ce que les ménages dépenseront en pot, ils ne le dépenseront pas ailleurs, avec les effets économiques conséquents.

Cela dit, l'IRIS a d'autres arguments, moins économiques, qui me rejoignent davantage : la capacité plus grande de la SAQ à résister aux concurrents criminels, le code de conduite des employés, la qualité des produits vendus, etc. Au sujet de la qualité, une récente enquête du Globe and Mail sur le pot médical (que le journaliste a fait tester en laboratoire) a donné des résultats troublants.

Enfin, la plupart des études le soulignent : si elles vont de l'avant, les autorités doivent avoir une grande préoccupation quant à l'impact qu'auront la légalisation et la croissance de la consommation sur la santé publique.