Quand mon plus vieux est parti en logement, en juillet, sa décision a été fort simple : pas de télé par câble, pas de téléphone filaire, seulement l'internet, le cellulaire et... Netflix.

Il n'est pas le seul. Au Québec, le quart des ménages déclarent qu'ils ont un abonnement payant à Netflix, selon l'Observatoire des technologies médias (OTM). Ce taux de pénétration donnerait à Netflix un bassin de 865 000 ménages abonnés au Québec, dont quelque 530 000 francophones (1).

Cette proportion est en forte croissance, en particulier chez les jeunes. Parmi les adultes de moins de 35 ans, la pénétration est deux fois plus importante que la moyenne, selon une autre analyse, provenant des relevés de carte de crédit d'une institution financière.

Face à cette explosion, comment le Québec réussira-t-il à garder un auditoire pour ses séries télévisées et ses films, sachant que Netflix diffuse très peu de contenu en français et encore moins de produits du Québec. Notre culture audiovisuelle est-elle en jeu ?

Bien sûr, le Québec conserve une barrière naturelle en raison de la langue, ce que les écarts de pénétration de Netflix entre les francophones (18 %) et les anglophones (48 %) démontrent bien. Nul doute que Vidéotron en tire parti avec son Club illico, qui est l'équivalent de Netflix, mais avec une technologie moins bien développée.

Il reste que Netflix s'approprie une bonne part des téléspectateurs québécois et canadiens, au détriment des diffuseurs locaux. Et en échange, Netflix ne verse pas la redevance équivalant à 5 % de ses revenus au Fonds des médias et autres fonds, contrairement aux Vidéotron, Rogers et Bell de ce monde (ces redevances servent justement à financer le contenu local). En plus, la perte d'abonnés du câble ou du satellite réduira les versements aux Fonds.

Globalement, Netflix éviterait le paiement au Canada d'environ 120 millions de dollars de taxes de vente (85 millions) et de redevances (35 millions), selon nos estimations, basées sur les sondages d'OTM. 

Comment se fait-il que les gouvernements et le CRTC restent les bras croisés, s'interrogent de nombreux intervenants locaux.

Devant cette problématique, le chef péquiste Jean-François Lisée propose d'imposer une forme de seuil minimal de contenus québécois aux Netflix et iTunes de ce monde, en plus d'une obligation d'investissement dans le contenu local.

D'autres s'interrogent : est-ce Netflix qui boude nos contenus ou est-ce plutôt nos producteurs qui boudent Netflix ? La réponse : probablement les deux.

Certes, Netflix exige des contenus facilement exportables, ce qui est trop rarement le cas de nos séries, contrairement aux House of Cards, Narcos ou même Marseille. Un produit original québécois devrait pouvoir promettre un grand succès local ET international pour intéresser Netflix. Encore faut-il y mettre les moyens, bien sûr, ce dont nos producteurs ne disposent pas, fait remarquer François Rozon, de Encore Télévision (Les beaux malaises, Prémonitions, etc.)

De plus, nos producteurs font concurrence au reste du monde pour charmer Netflix. « La file d'attente est très longue », dit Luc Châtelain, président du producteur Écho Média (19-2, etc.). Écho Media réussit tout de même à discuter avec Netflix pour une possible rediffusion mondiale des séries animées Toupie et Binou, plus facilement exportables.

En revanche, le fonctionnement de l'industrie rend aussi l'achat de contenus québécois moins intéressants pour Netflix. 

Quand un distributeur comme Films Séville acquiert un film québécois d'un producteur, la séquence de distribution est prédéterminée. Et Netflix n'en fait pas vraiment partie.

Ce sont d'abord les salles de cinéma, puis les ventes de DVD et la vidéo sur demande (Illico, Bell, etc.) qui priment. Suit la télévision payante, essentiellement Super Écran, à qui Séville cède l'ensemble des droits à cette étape. Enfin, les diffuseurs généralistes se servent. Ce n'est qu'après que les Netflix et autres deuxièmes réseaux payants peuvent négocier pour diffuser... c'est-à-dire quand les films n'ont vraiment plus la cote.

Netflix en sait quelque chose. En réponse à nos nombreuses questions, l'entreprise nous répond succinctement par courriel que « le Québec est un marché très dynamique et nous faisons face à une vive concurrence pour le contenu de la part des télédiffuseurs locaux et des services en ligne ».

Autre déclaration : « Nous cherchons toujours à acquérir du contenu exceptionnel pour nos membres au Canada et ailleurs dans le monde. Nous avons actuellement des droits sur du contenu canadien-français que nos membres peuvent voir où c'est disponible, comme Les Parent, diffusé en continu (streaming) au Canada, et Tu dors Nicole, diffusé en continu aux États-Unis ».

Oui, mais prévoyez-vous l'achat de contenu original québécois ? Pas de réponse.

Patrick Roy, président du distributeur Séville, pense que Netflix n'aura pas le choix : son succès ici passe par l'achat de séries en français et locales. « Les Québécois demeurent intéressés par le contenu local et trouvent les façons d'y accéder. Une bonne proportion n'est pas encore bilingue », dit-il.

Vidéotron mise là-dessus. Son Club illico vient de diffuser une série québécoise originale (Blue Moon), qui a connu un certain succès et qui consoliderait sa base d'abonnés. Et au cours de la prochaine année, quatre autres productions originales seront offertes.

Il reste que la question demeure : notre industrie prend-elle vraiment les moyens pour que notre culture audiovisuelle résiste à la vague Netflix ?

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1 L'OTM est un organisme de la Société Radio-Canada, qui fait son estimation sur la base de sondages menés auprès de 5887 répondants au Québec (12 000 au Canada). Quelque 41 % des ménages canadiens seraient abonnés à Netflix, ce qui se traduit par 5,7 millions d'abonnés, selon nos estimations.