Trump répète qu'il a utilisé « brillamment les lois de l'impôt ». Qu'il n'a donc rien à se reprocher.

La question qui se pose : est-ce une pratique courante des gens d'affaires aux États-Unis et, plus encore, est-ce répandu au Canada ?

Selon une fameuse enquête du New York Times, le magnat de l'immobilier aurait pu éviter le paiement de 916 millions de dollars US d'impôts personnels sur une période de 18 ans. « Brillant », a répondu Trump.

Vous avez bien lu, « impôts personnels ». Les 916 millions ne portent donc pas sur les pertes qui peuvent avoir été déduites par ses nombreuses entreprises, mais bien par lui-même personnellement. Ça fait des impôts en titi !

Comment est-ce possible ? Pour comprendre, il faut d'abord revenir sur le principe général des impôts, à savoir que le fisc prélève des impôts sur les revenus nets, soit les revenus bruts MOINS les dépenses encourues pour obtenir ces revenus. Dans le cas des entreprises, c'est ce qu'on appelle des profits.

Quand une entreprise fait des profits, donc, elle paie des impôts, mais à l'inverse, une perte se traduit par un remboursement d'impôt. En fait, non : le fisc fait rarement un chèque aux entreprises qui déclarent des pertes, il accepte plutôt que l'entreprise utilise ces pertes pour réduire ses profits passés et futurs.

Ce principe n'est pas propre aux États-Unis, ni même au Canada : il est appliqué pratiquement partout dans le monde. L'objectif est de ne pas pénaliser les entreprises pour leurs prises de risque, qui conduisent souvent à des pertes. Souvent, les pertes peuvent être utilisées pendant de très nombreuses années (23 ans au Canada, 22 ans aux États-Unis et indéfiniment en Suède), à certaines conditions.

Mais voilà, ce qui est particulier aux États-Unis, c'est que le système fiscal permet aux riches actionnaires des entreprises de transférer ces pertes sur leurs déclarations de revenus personnelles. Pire : cette pratique est en quelque sorte encouragée.

Comment ? Les gens d'affaires brassent leurs affaires dans des entités dites transparentes, soit des entreprises à responsabilité limitée ou encore des « S corporations ». Ces entités sont transparentes dans la mesure où elles peuvent transférer leurs profits (ou leurs pertes) aux actionnaires sans que ces profits soient imposés. L'impôt est plutôt prélevé directement auprès des actionnaires, dans ce cas-ci Donald Trump en personne.

Cette structure est très répandue aux États-Unis car les autres modes de constitution d'entreprise se traduisent par une double imposition des mêmes profits, soit un prélèvement au sein de l'entreprise et un prélèvement chez les particuliers qui reçoivent ces profits par le truchement d'un dividende, par exemple. Les gens d'affaires optent donc pour des entités transparentes pour éviter la double imposition, ce qui est permis par le fisc.

Qu'en est-il au Canada ? Selon deux fiscalistes réputés, cette pratique est peu répandue chez nous, car le système fiscal est structuré de telle sorte que les mêmes profits ne sont pas doublement imposés.

« C'est rare au Canada en raison du principe d'intégration fiscale entre les entreprises incorporées et les particuliers », explique Éric Labelle, de PwC, selon qui les entités transparentes américaines permettent aux bénéficiaires d'économiser ultimement environ 15 % d'impôt.

Au Canada, l'intégration fiscale fait en sorte que le fisc récolte globalement les mêmes impôts, que les profits soient imposés auprès de l'entreprise ou auprès des particuliers (impôt sur les dividendes). Ce traitement équivalent sur les profits est possible grâce au crédit d'impôt sur les dividendes, qui réduit l'impôt des particuliers d'une somme équivalent à celle payée par l'entreprise, essentiellement.

Même son de cloche chez Jean-François Thuot, de Raymond Chabot Grant Thornton. La faible fréquence du phénomène au Canada s'explique aussi par les taux d'imposition bien différents au Canada et aux États-Unis, explique-t-il. Au Canada, les particuliers sont plus fortement imposés que chez nos voisins, tandis qu'aux États-Unis, ce sont les entreprises qui sont davantage imposées qu'ici.

Aux États-Unis, les gens d'affaires sont donc davantage incités à faire imposer leurs profits en tant que particuliers plutôt qu'en tant qu'entreprises. Et inversement au Canada.

Cela dit, il est tout de même possible au Canada de créer une entité « transparente » fiscalement, dit M. Huot.

Cette transparence passe par la constitution d'une société de personnes ou, plus encore, d'une société en commandite (SEC). Dans le cas d'une SEC, les profits sont imposés auprès des commanditaires. Même raisonnement pour les pertes.

Faire ce que semble avoir fait Donald Trump aux États-Unis est donc tout à fait possible au Canada, même si c'est généralement moins avantageux et moins fréquent.

Aux États-Unis, le débat parmi les experts porte aussi sur ce que Trump a pu inclure dans ses états financiers pour gonfler sa perte fiscale personnelle à 916 millions. A-t-il déplacé des revenus dans d'autres entités pour gonfler les pertes ? Impossible de le savoir sans obtenir sa déclaration de revenus complète.

Chose certaine, le fisc américain (Internal Revenue Service ou IRS) s'y intéresse vivement. De l'aveu même de Trump, l'IRS fait une « vérification de routine » de ses déclarations de revenus depuis 15 ans, ce qui n'est pas fréquent chez ses amis dans les affaires, a-t-il dit lors du débat.