Comme bien d'autres, j'ai appuyé l'emballant projet de train de la Caisse de dépôt. Cependant, en regardant les chiffres de plus près, je deviens perplexe. Surtout, je comprends mieux ce qui attend les usagers en matière de tarification.

J'ai comparé les coûts du Réseau électrique métropolitain (REM) de la Caisse à ceux de trois autres projets récents de trains légers dans le monde, soit ceux de Vancouver, d'Ottawa et de Toulouse, en France (1). Les résultats sont renversants.

Premier constat, positif celui-là : même à 5,5 milliards de dollars, le train de la Caisse ne coûtera pas si cher à construire, toute proportion gardée. Plus précisément, les 67 kilomètres du REM coûteront 82 millions de dollars par kilomètre, tandis qu'à l'autre extrême, la Ligne de la confédération d'Ottawa a un coût au kilomètre deux fois plus élevé (170 millions). Vancouver et Toulouse sont à environ 110 millions par kilomètre.

Certains diront que cet avantage du REM cache d'éventuels dépassements de coûts importants. M'est avis que l'écart avec les autres est surtout attribuable aux défis plus grands ailleurs (le projet de 12,5 km à Ottawa, qui sera mis en service en 2018, comprend 2,5 km de tunnel en plein centre-ville).

C'est après que les comparaisons se dégradent. À Montréal, l'achalandage prévu est significativement moins grand qu'ailleurs et le réseau, plus étendu. Tant et si bien que chaque usager devra supporter un fardeau financier nettement plus lourd qu'ailleurs.

Ainsi, à Ottawa, on prévoit un achalandage quotidien d'environ 20 000 voyageurs par kilomètre, comparativement à 6400 pour le Canada Line de Vancouver et 7100 pour le Toulouse Aerospace Express. Le REM de Montréal ? Seulement 2100 voyageurs par kilomètre !

L'impact prend tout son sens quand on ramène les coûts du REM par voyageur quotidien. À Montréal, chaque usager devrait supporter l'équivalent d'un fardeau à vie de 39 000 $, ce qui est quatre fois plus imposant qu'à Ottawa (8500 $) ou deux fois plus grand qu'à Toulouse ou même Vancouver (17 000 $), à qui la Caisse aime se comparer.

Ces chiffres sont des ordres de grandeur, bien sûr. L'achalandage de Vancouver est connu, puisque le projet est en marche depuis 2009, tandis que celui d'Ottawa est une prévision et encore davantage celui de Toulouse, dont on espère inaugurer le train en 2024.

À Montréal, la Caisse a rendu publiques ses prévisions d'achalandage en août. En 2022, soit durant l'année complète suivant l'ouverture, 141 000 voyageurs utiliseraient le REM de la Caisse (2).

Ce niveau est plus élevé qu'à Vancouver (122 000), mais plus faible qu'à Ottawa (250 000). Il demeure tout de même très supérieur au nombre actuel d'usagers que le REM remplacera sur les antennes Deux-Montagnes, Rive-Sud et de l'aéroport, soit 85 000.

L'ex-présidente de l'Agence métropolitaine de transport (AMT), Florence Junca-Adenot, est sceptique. « Passer de 85 000 à 141 000, c'est impossible », dit-elle.

La Caisse y croit fermement. L'institution juge que son train automatisé à très grande fréquence fera augmenter significativement le nombre d'usagers, notamment sur l'antenne Rive-Sud, où les bouchons sur les ponts sont une plaie. De plus, cette grande fréquence haussera le nombre d'utilisateurs en dehors des heures de pointe. Elle juge même qu'en 2031, cet achalandage quotidien grimpera à 171 000.

Il reste que même avec cet achalandage de 141 000 à 171 000, le train de la Caisse équivaut à un fardeau de plus de 30 000 $ par voyageur quotidien, deux fois plus qu'à Vancouver, une ville qui a le même genre de train automatisé.

Survient donc la question : où donc la Caisse ira-t-elle puiser suffisamment de revenus annuels pour absorber de tels coûts ? Est-ce la raison qui explique que la Caisse ne finance que 55 % du projet (et ne devra donc amortir que 55 % des coûts) ? Surtout : comment les usagers seront-ils mis à contribution ?

À ce sujet, nous avons eu une intéressante conversation avec le cerveau du projet à la Caisse, Jean-Marc Arbaud.

D'abord, explique-t-il, il faut tenir compte d'un facteur central dans ce genre d'analyse : le nombre de kilomètres que parcourt chaque voyageur. À Montréal, chacun des 141 000 voyageurs parcourra une moyenne de 15 ou 20 km, probablement trois fois plus que les usagers de Vancouver. Le train de la Caisse aura donc un coût par « passager-km » très bas.

Autre élément : en plus de l'investissement initial qu'il faudra amortir, il faut prendre en compte les coûts d'exploitation annuels du train. Or, ces derniers seront de 20 à 30 % plus bas que ceux des autres modes de transport en commun non automatisé.

Un fait demeure incontournable, cependant : l'investissement équivaut à un fardeau de deux à quatre fois plus grand par voyageur qu'ailleurs, même si ce fardeau s'explique par une plus grande distance parcourue. 

Et de ce fait, le tarif moyen d'un passage ne pourra vraisemblablement pas être aussi bas que les 2,75 $ à 5,50 $ payés à Vancouver.

Tout indique que les usagers devront donc absorber la facture, au moins en partie, par une tarification basée sur la distance, en fonction de zones. Plus le nombre de kilomètres parcourus sera grand, plus important sera le tarif.

Pour garder le tarif attrayant, les utilisateurs du REM ne risquent pas d'être les seuls à être mis à contribution. De fait, le gouvernement a entrepris l'intégration des quelque 700 tarifs de la région de Montréal, question d'en faire un tout cohérent.

On peut s'attendre à une forme d'interfinancement, où certains usagers ailleurs sur le réseau paieront davantage qu'actuellement, selon la distance parcourue. De plus, afin d'encourager l'utilisation du train hors pointe, les tarifs pourraient aussi être plus bas les soirs de semaine et la fin de semaine, comme à Vancouver.

Le train de la Caisse demeure un projet porteur, mené par une organisation consciencieuse et efficace. Mais la question des coûts est préoccupante et nous ramène à l'élément fondamental : les résidants du Grand Montréal vont-ils enfin délaisser le confort de leurs voitures pour prendre les transports en commun ?

(1) Les projets de tramways ont été exclus de la comparaison, car bien qu'ils soient beaucoup moins chers, ils sont moins efficaces, car leurs lignes ne sont pas dédiées (autos, cyclistes et piétons peuvent souvent y circuler).

(2) Un voyageur est en fait un déplacement pour une destination. Un trajet aller-retour pour le travail équivaut à deux voyageurs, comme pour les autres projets.