Ils sont en train de gagner. Ils sont en train de transformer notre monde, de renverser la tendance à l'ouverture lancée après la Seconde Guerre mondiale, il y a sept décennies.

En seulement trois ans, les terroristes de Daesh ont réussi à jouer dans la tête des gens, à faire germer l'intolérance, à alimenter le sentiment de protectionnisme identitaire. Chaque nouvel attentat est un puissant engrais pour le populisme et le réflexe de fermeture.

Bien sûr, les djihadistes ne sont pas les seuls responsables des sentiments du peuple, qui cherche légitimement ses repères dans un monde en perpétuel changement. Mais il ne faut pas se leurrer : la multiplication des attentats n'est pas étrangère au vent favorable à la droite populaire et au reflux de l'immigration dans le monde.

Les atrocités de Paris (130 morts), Ankara (102 morts), Beyrouth (43 morts), Istanbul (45 morts), Bruxelles (32 morts), Orlando (49 morts) et maintenant Nice (84 morts) ont des conséquences politiques certaines.

Le camp du Brexit l'aurait-il emporté sans les récents attentats ? Aurait-il récupéré les 2 à 3 % nécessaires pour franchir la barre des 50 %, n'eussent été les horreurs commises à répétition dans les capitales, notamment à Londres, en juillet 2005 (56 morts) ?

L'Américain Donald Trump, avec son credo pour l'ordre public et sa promesse de mur à la frontière du Mexique, serait-il au coude à coude avec sa rivale Hillary Clinton sans ces carnages ? L'extrême droite de Marine Le Pen, en France, ou de Norbert Hofer, en Autriche, aurait-elle une telle cote de popularité sans le groupe État islamique (EI) ?

Pour une partie de la population, l'équation est simple. Les auteurs des attentats portent le nom de Mohamed Lahouaiej Bouhlel, de Salah Abdeslam et autres Omar Seddique Mateen. Ils sont musulmans, ils sont étrangers, fermons la porte aux musulmans, fermons la porte aux immigrés.

Que la très vaste majorité des musulmans n'aient aucune intention belliqueuse n'y change rien. Que de nombreux musulmans dénoncent la folie meurtrière ne pèse pas lourd dans la balance. Que des pays musulmans soient eux-mêmes victimes des islamistes n'apaise pas un certain sentiment populaire.

D'ailleurs, hier, plusieurs pays arabes, dont l'Arabie saoudite, ont vivement condamné l'attentat de Nice. « Ces attaques terroristes abominables contredisent les enseignements de l'islam », a déclaré le grand imam d'al-Azhar. Cette autorité sunnite d'Égypte a fait appel à l'unité pour « débarrasser le monde du terrorisme ».

Au Canada, chaque attentat est condamné publiquement par les musulmans, notamment par le groupe international Ahmadiyya Muslim Jama'at, présent au Canada depuis 50 ans. Ce mardi, justement, le groupe lançait une campagne pancanadienne pour enseigner les principes pacifiques de l'islam. Message central : « l'amour pour tous, la haine pour personne ».

Ces dénonciations n'endigueront pas le phénomène. Au Royaume-Uni, la nouvelle première ministre, Theresa May, a réitéré la semaine dernière son intention de faire passer le nombre annuel de nouveaux immigrants de plus de 300 000 à quelques dizaines de milliers seulement.

Bref, les terroristes sont en train de réussir à nous faire remettre en question notre monde moderne, ouvert et libre. Au terme de la terrible Seconde Guerre mondiale, en 1945, les pays avaient convenu de former l'Organisation des Nations unies (ONU), chargée de maintenir la paix et l'harmonie. Un traité mondial d'échanges économiques (GATT) a également été adopté, encore une fois dans le but d'ouvrir nos frontières.

Depuis, l'Union européenne a été formée, le mur de Berlin est tombé et la Chine a pris une place prépondérante dans l'échiquier mondial. Aujourd'hui, avec les récents événements politiques, les récents accords d'échange économique transatlantique sont menacés. Et qui sait ce qui arrivera de nos relations avec les États-Unis avec l'élection possible de Trump...

Pour certains, bombarder les positions du groupe EI, notamment en Syrie, est la solution toute trouvée. C'est oublier que les rejetons de l'EI partout dans le monde demeureront actifs.

Pour d'autres, fermer la porte aux immigrés serait l'idéal. Malheureusement, les extrémistes ne sont désormais plus des étrangers, mais souvent des islamistes de nationalité locale, comme Abdeslam (Belgique), Mateen (Floride) ou Couture-Rouleau (Québec).

Hier, Philippe Couillard jugeait plutôt qu'une ouverture accrue à l'immigration permettrait de lutter contre le radicalisme. Est-ce vraiment le sentiment populaire ?

Il n'y a pas de solutions simples. Il reste qu'un pays avec des règles claires qui respecte la capacité d'accueil de la population est une façon judicieuse de permettre aux nouveaux arrivants de s'intégrer, de trouver un bon emploi et de faire leurs nos valeurs. Mais est-ce que ce sera suffisant pour éviter un attentat dans le métro de Montréal ?