On le voyait bien dans les sondages, mais on ne croyait pas la chose possible. Les experts se disaient que non, les Britanniques n'appuieraient pas le Brexit. Qu'une fois dans l'urne, ils entendraient la voix de la raison et opteraient pour le statu quo.

Mais ce n'est pas ce qui est arrivé. Le peuple a exprimé son ras-le-bol de l'Union européenne, de la mondialisation, de l'immigration, des inégalités, des contraintes de Bruxelles. Tous les experts avaient pourtant bien averti que le Royaume-Uni souffrirait des conséquences économiques d'un Brexit, mais l'homme de la rue est resté sourd à ces arguments.

Si les marchés financiers mondiaux réagissent si brusquement à la nouvelle, c'est justement parce que le vote en faveur du Brexit a déjoué les attentes. En temps normal, on dit que les marchés « anticipent » la nouvelle, qu'ils montent ou baissent plusieurs jours avant l'événement, si bien que lorsque l'événement se produit, les variations sont modestes. Ç'aurait été le cas si les sondages avaient donné 5 à 10 points d'avance au camp du Leave.

Mais ce n'est pas ce qui est arrivé. Les tenants du Remain ont perdu, déjouant les pronostics et créant beaucoup d'incertitude, ce mot tant détesté des gens d'affaires. Les investisseurs de par le monde ont donc sauté sur leurs claviers et réagi en panique : il faut vendre.

Jeudi soir, la livre sterling s'est mise à reculer dramatiquement dès que le Leave a pris les devants. À minuit, heure de Montréal, la livre chutait de 9 %, à un plancher jamais vu en 31 ans. Un peu comme si le dollar canadien perdait 7 cents en une soirée face au dollar américain. Et vendredi, les titres des banques européennes chutaient de 30 % à l'ouverture des marchés boursiers. Historique !

Nul doute qu'un réflexe de protection, notamment face à l'immigration, a influencé l'issue du référendum. Nul doute que la guerre au Moyen-Orient et les mouvements migratoires rapides qui ont suivi ont engendré une crainte dans la population, même si le Royaume-Uni ne fait pas partie de l'espace Schengen de libre circulation des habitants de l'Union européenne. Au Royaume-Uni comme ailleurs, les récents attentats terroristes provoquent un réflexe de repli sur soi.

Nul doute que la crise financière de 2008, avec les compressions et les pertes d'emplois qui ont suivi, a soulevé de la grogne dans la population et pesé dans la balance. Les inégalités ont d'ailleurs crû significativement sur les terres de la reine Élisabeth depuis 20 ans, plus qu'ailleurs en Europe.

L'économie s'en remettra. Une fois la poussière retombée, les marchés financiers s'ajusteront, les investisseurs constateront qu'ils ont réagi trop brusquement, jaugeant mieux le risque.

Le peuple continuera de manger, de boire, d'écouter le football. Il y aura même des occasions qui se créeront, dans l'économie réelle comme sur les marchés financiers.

Mais on ne peut imaginer qu'un pays avec un produit intérieur brut de plus de 3500 milliards CAN, dont le cinquième dépend des exportations, puisse quitter une zone économique de libre-échange sans conséquences. Qu'un bloc de 65 millions d'habitants demande démocratiquement de changer de trajectoire sans qu'il n'y ait d'impacts.

Malheureusement, les moins nantis et la classe moyenne, bref le peuple, risquent de perdre au change.

Pour le moment, le Royaume-Uni reste membre de l'Union européenne, dans l'attente d'une renégociation des ententes avec le reste de l'Europe, qui devrait prendre deux ans. La transition soulève des questions, puisque plus de 60 % des députés du Royaume-Uni s'étaient prononcés en faveur du maintien dans l'Union européenne. Qui remplacera le démissionnaire premier ministre David Cameron pour négocier ?

À moyen terme, le Canada sera épargné. L'économie canadienne n'a pas beaucoup d'échanges économiques avec le Royaume-Uni (2,5 % de ses exportations). Il ne devrait donc pas trop souffrir des conséquences directes du référendum, outre ses impacts sur le prix des matières premières et sur les fluctuations des marchés financiers.

À moins que le vent britannique ne souffle aussi sur les États-Unis. À moins que ce mouvement de repli identitaire ne porte au pouvoir l'anti-libre-échangiste Donald Trump, ce qui menacerait nos relations avec les États-Unis, de qui nous sommes autrement plus dépendants. Je n'ose pas y penser...