Vous avez entendu parler des critiques du Vérificateur général au sujet de la SAQ ? Selon le VG, la société d'État n'a pas intérêt à négocier les meilleurs prix possible auprès de ses fournisseurs mondiaux de vin, car des prix moindres feraient baisser ses profits.

N'est-ce pas incroyable ? Même si la SAQ, de par son statut de monopole, est l'un des plus gros acheteurs de vin du monde, son modèle d'affaires l'empêche d'en tirer pleinement profit.

Ce phénomène s'explique par le fait que l'essentiel de la marge de bénéfices de la SAQ est connu des vendeurs et varie de façon constante avec le prix de gros payé. Ainsi, plus le prix de gros baisse, moins la SAQ engrange de profits auprès des consommateurs, ce qui n'est pas dans son intérêt.

Justement, une nouvelle étude vient estimer le manque à gagner causé par une telle pratique. Grosso modo, la SAQ pourrait soutirer entre 50 et 150 millions de plus par année de ses fournisseurs si son modèle d'affaires lui permettait pleinement de faire jouer son importance, estiment les auteurs.

L'étude intitulée Monopole inc. : pour une ouverture du commerce des vins et spiritueux a été réalisée par les économistes Paul Daniel Muller et Frédéric Laurin, accompagnés de l'expert en vins Yves Mailloux. L'étude a été autofinancée par les auteurs et aucune institution, entreprise ou syndicat n'est lié à son contenu.

Essentiellement, les auteurs ont fait leurs estimations en se basant sur les données de la revue Wine by numbers (WBN), qui publie le prix moyen payé par les grands acheteurs de vin. Selon ces données, les monopoles de l'alcool au Canada, notamment la SAQ et son équivalent ontarien (LCBO), paient le vin importé entre 3 % et 77 % de plus que la moyenne des autres importateurs dans le monde (en excluant les deux extrêmes, voir tableau).

La SAQ et la LCBO, de loin les plus gros du Canada, fonctionnent sur ce même principe de marge. Le VG de l'Ontario a d'ailleurs critiqué la LCBO pour les mêmes raisons.

Pour faire leurs estimations, les auteurs ont fait l'hypothèse que la SAQ pourrait négocier de meilleurs prix dans une fourchette de 5 %, 10 % ou 15 % (bien moins que la moyenne de 3 à 77 % de WBN). Sachant que le vin compte pour environ les trois quarts des achats de la SAQ, soit un milliard par année, ils ont calculé que notre monopole pourrait récupérer 50, 100 ou 150 millions par année.

« C'est beaucoup d'argent à l'heure de l'austérité. Ça va dans les poches de l'industrie plutôt que dans celles des consommateurs ou des contribuables. »

- Paul Daniel Muller, économiste

L'estimation est imparfaite, puisque les prix de gros moyens de WBN peuvent différer non seulement en raison du jeu de la négociation, mais aussi du mix de produits achetés par les importateurs (bas, moyen et haut de gamme). Les auteurs notent toutefois qu'un produit assez homogène comme le champagne reflète bien notre faiblesse de négociation : le prix de gros est payé ici 31 % de plus qu'ailleurs !

Les auteurs ne proposent pas d'alternative précise au régime monopolistique actuel, comme l'a fait le Comité de révision des programmes, qui propose d'ouvrir la concurrence à la SAQ.

Ils cherchent plutôt à illustrer certaines problématiques entourant ce monopole d'État, notamment à l'égard de la santé publique, de la diversité de sélection, des prix de détail, des recettes nettes pour l'État et du développement de l'industrie locale.

En plus du 50 à 150 millions d'économies dans les achats de gros, les auteurs jugent qu'il y aurait aussi un manque à gagner appréciable du côté de la distribution (succursales SAQ, etc.). Entre autres, ils reviennent sur les charges d'exploitation et les frais de rémunération nettement plus élevés de la SAQ que ceux d'ailleurs au Canada ou aux États-Unis (sauf Terre-Neuve).

PLUS DE TAXES POUR LES MOINS NANTIS

Autre élément de l'étude : la SAQ n'a pas une politique de prix « équitable » pour les familles moins nanties. En effet, les marges de profits appliquées sont nettement plus élevées pour les vins de bas de gamme, qu'achètent les familles modestes, que pour les vins raffinés. Ainsi, la marge appliquée sur les prix de gros est de 165 % pour les vins qui se vendent moins de 10 $, contre 70 % pour les vins à 50 $.

Certes, la SAQ n'a pas pour rôle de redistribuer l'argent entre les classes sociales, mais certains croient que son caractère public rend ses politiques de prix plus équitables que le privé, ce qui est faux, disent les auteurs.

La SAQ n'est jamais à court d'arguments pour se défendre. Il est vrai que même sans concurrence, elle a beaucoup évolué depuis 20 ans. Ses frais d'exploitation par rapport aux ventes sont en recul depuis 15 ans et l'organisation a augmenté de 24 % le nombre de ses bouteilles vendues par heure travaillée depuis 2008.

Il reste qu'un monopole est rarement avantageux pour une économie. Il freine la concurrence, l'efficacité et l'innovation. Et la vente d'alcool n'est pas une mission essentielle pour l'État, comme l'éducation des enfants. Pourquoi ne pas ouvrir la porte à quelques boutiques privées de vin spécialisées pour commencer, qu'elles soient physiques ou en ligne ?