Quelles montagnes russes, mes amis ! D'abord, un panel d'économistes qui dit que le Québec est parmi les plus « poches » des nations industrialisées. Puis, un autre qui affirme presque le contraire.

Je parle des deux séries de conférences qui se sont tenues au congrès de l'ASDEQ, hier après-midi, à Québec. L'ASDEQ, c'est l'Association des économistes québécois, dont le thème du congrès de cette année a pour titre « La création et la distribution de richesse : de nouveaux enjeux ».

Le premier groupe de trois économistes est venu parler du premier volet et le second, du deuxième. Vraiment, deux perspectives totalement différentes !

D'abord, le prof de HEC Montréal Robert Gagné a soutenu que le Québec va vraiment mal, comme il l'a souvent répété par le passé. Nos difficultés se résument à nos problèmes de productivité, dit-il, ce qui mine notre création de richesse et, conséquemment, notre capacité à financer nos services publics.

Depuis 1981, notre productivité s'est accrue d'à peine 1 % par année, l'un des taux les plus faibles des pays de l'Organisation de coopération et de développement économique (OCDE). En comparaison, la productivité s'accroît à un rythme de 1,5 % par année aux États-Unis.

Certes, notre niveau de vie a augmenté de 14 700 $ depuis 1981. Mais ce produit intérieur brut (PIB) par habitant a grimpé de 6000 ou 7000 $ de plus ailleurs, comme au Royaume-Uni. Cette faible croissance a pour effet d'exiger des Québécois qu'ils consacrent une plus grande part de leurs revenus pour avoir des services publics. Cette part équivaut à 52 % du PIB au Québec, contre 47 % au Japon, par exemple (57 % en France, l'un des plus hauts pourcentages).

Robert Gagné dit devoir répéter la même chose année après année - et simplifier les chiffres à l'excès - parce que les gens oublient et que les journalistes ne comprennent pas.

***

L'économiste Claude Séguin, cadre supérieur chez CGI, s'étonne de notre faible progrès économique, compte tenu des bonnes décisions qui ont été prises. En 1979, rappelle-t-il, le taux marginal maximum d'imposition était de 68 % au Québec, contre 53 % aujourd'hui. En plus d'abaisser le taux d'imposition des particuliers, d'éliminer la taxe sur le capital et d'adopter le libre-échange, Québec a implanté la taxe sur la valeur ajoutée (TVQ), ce qui a détaxé la production et ainsi aidé nos exportations.

Il souligne que le Québec a un plus gros secteur public qu'ailleurs, qu'il a un plus haut taux de syndicalisation et que ces syndiqués travaillent cinq semaines de moins que les autres, en moyenne.

Il croit que la clé passe par l'éducation (l'abaissement du décrochage scolaire et le renflouement des universités), mais aussi par le renforcement des deux plus grandes villes du Québec, mais surtout de Montréal.

***

De son côté, mon collègue chroniqueur Alain Dubuc juge que le Québec a fait du surplace et il croit que la situation sera plus difficile à corriger à l'avenir, compte tenu du vieillissement de la population. Il dénonce le blocage et la méfiance d'une partie de la population pour la création de la richesse.

« Chez un grand nombre de gens, le progrès économique va contre le progrès social, alors que les deux vont de pair », dit Alain Dubuc, selon qui l'éducation est centrale dans les avenues de solution.

***

Le discours de France St-Hilaire, la première à parler de redistribution, a complètement changé le ton. L'économiste de l'Institut de recherche en politiques publiques souligne que les inégalités ont crû de façon marquée non seulement aux États-Unis, mais aussi au Canada.

Le coefficient de Gini - mesure ultime des inégalités - est passé de 0,37 à 0,436 depuis 1985, avant la prise en compte des transferts gouvernementaux. Après les transferts gouvernementaux, le coefficient descend à 0,313, mais il a tout de même augmenté (en raison des compressions dans l'assurance-emploi et l'assistance sociale), bien qu'il se soit stabilisé au cours des années 2000.

En particulier, la classe moyenne est passée de 74 % de la population canadienne en 1985 à 63 % aujourd'hui. Selon elle, les gouvernements doivent intervenir pour corriger l'explosion des salaires des PDG et hauts dirigeants, qui s'approprient la rente de la création de la richesse.

***

Un autre conférencier, Alain Noël, de l'Université de Montréal, ne nie pas le courant de fond des inégalités mondiales et canadiennes, mais soutient que le Québec résiste nettement à la tendance. L'assurance médicaments et l'équité salariale de 1996, les CPE de 1997 et la loi contre la pauvreté de 2002 ont contribué à cette particularité. Il fait remarquer que le taux de chômage au Québec est pratiquement semblable à l'Ontario, que le nombre d'assistés sociaux a reculé de façon marquée, que plus de femmes travaillent ici.

« Au Québec, la pauvreté est moins grande chez ceux qui ont des enfants que chez les autres. En Ontario, c'est l'inverse », dit-il.

Bref, le Québec serait le cancre de la création de la richesse, mais le champion de la redistribution.

***

Pour ma part, je ne doute pas que le Québec ait un sérieux problème de productivité, je ne suis pas jovialiste, mais je ne partage pas le pessimisme de certains. Notre budget est l'un des rares à l'équilibre dans le monde, le décrochage au secondaire a reculé de façon remarquable depuis 15 ans et la commission Charbonneau est derrière nous.

Montréal et Québec comptent deux maires énergiques, deux leaders, qui veulent enfin contrôler la lourde rémunération municipale. Enfin, la Caisse de dépôt a un projet de train électrique rassembleur, une première depuis longtemps.

J'aime mieux vivre ici avec nos problèmes qu'avec ceux de l'Espagne, de la France, du Japon, de l'Italie, de la Grèce, de la Chine et du pays de Donald Trump...

PHOTO ALAIN ROBERGE, archives LA PRESSE

Alain Dubuc, chroniqueur à La Presse

photo archives bloomberg

Notre budget est l’un des rares à l’équilibre dans le monde, le décrochage au secondaire a reculé de façon remarquable depuis 15 ans et la commission Charbonneau est derrière nous, souligne notre chroniqueur.