La sortie de Serge Godin sur la fiscalité et la fuite des sièges sociaux, il y a 10 jours, a suscité beaucoup de réactions. Or, parmi les commentaires, certains m'ont fait part des outils efficaces dont disposent les entrepreneurs pour amoindrir le problème. Ah bon ?

Les solutions ne règlent pas tout, mais elles sont utilisées par de 75 à 80 % des entrepreneurs, selon le fiscaliste Jean-François Thuot, de Raymond Chabot Grant Thornton, avec qui j'ai fait le tour de la question.

Rappelons que Serge Godin, actionnaire de contrôle de la multinationale CGI, dénonce les impacts indésirables de la fiscalité canadienne. Les héritiers qui reçoivent une entreprise en héritage, dit-il, doivent vendre des actions de l'entreprise pour acquitter la lourde facture d'impôts, puisqu'ils n'ont pas suffisamment de liquidités.

Ce phénomène mettrait le contrôle de l'entreprise à risque, surtout s'il faut vendre des actions à vote multiple. Le patronat appuie ses propos.

UNE FIDUCIE PENDANT 21 ANS

Le moyen le plus populaire pour amoindrir le problème est sans contredit l'utilisation de fiducies. L'entrepreneur qui atteint 55 ou 60 ans, par exemple, peut mettre en place une structure de détention de l'entreprise qui permet de reporter le paiement d'une bonne partie de l'impôt d'une génération ou même de deux générations.

Pour ce faire, l'entrepreneur commence par séparer distinctement deux éléments : la plus-value passée de l'entreprise, d'une part, et son éventuelle plus-value future, d'autre part. Ce procédé est appelé gel successoral.

Dans la nouvelle structure, l'entrepreneur conserve la plus-value passée de l'entreprise, par exemple sous forme d'actions privilégiées. Les actions associées à la plus-value future sont versées dans une fiducie, dont les héritiers sont les bénéficiaires.

Lors de la mort de l'entrepreneur, seule sera imposée la plus-value passée de l'entreprise déterminée au moment du gel, c'est-à-dire le gain sur les actions qu'il détient réellement (les actions privilégiées). Les actions représentant la plus-value future, détenues par la fiducie, ne seront pas imposées au moment du décès, ni même lorsqu'elles seront transférées aux héritiers, puisque ce transfert est exempt d'impôts.

Dit autrement, le paiement des impôts sur cette plus-value future sera reporté, un peu comme un REER. L'impôt sera payé seulement lorsque les héritiers eux-mêmes vendront l'entreprise, essentiellement, ou encore lorsqu'ils mourront (leurs propres successions paieront alors l'impôt).

En clair, pour une entreprise dont la plus-value passée représente la moitié de la plus-value totale, l'impôt à payer par les héritiers au décès du fondateur sera deux fois moindre, essentiellement. Ainsi, au lieu de payer 26,7 millions sur un gain en capital total de 100 millions, la facture s'élèvera à 13,4 millions.

Mieux encore : le fondateur de l'entreprise peut désigner ses petits-enfants comme bénéficiaires de la fiducie. Il peut même le faire bien après que la fiducie a été formée. Ce faisant, le paiement des impôts sur la plus-value future sautera deux générations.

Pour éviter que cette planification lui fasse perdre le contrôle de l'entreprise de son vivant, le fondateur peut organiser la restructuration de façon à conserver ses actions à vote multiple, mais en en extirpant toute plus-value future, qu'il verse dans la fiducie. Au moment du décès, il lègue aussi ses actions, sans incidence fiscale.

Depuis la fin des années 80, les avantages de la détention en fiducie s'éteignent après 21 ans. Les bénéficiaires-héritiers de la fiducie recevront donc automatiquement les actions après 21 ans, mais sans impact fiscal immédiat, seulement à leur propre décès.

L'ASSURANCE VIE

L'assurance vie est un autre véhicule qui permet d'alléger la facture d'impôts des héritiers. Elle peut même être jumelée au truc de la fiducie.

La mécanique ? Pendant plusieurs années, l'entrepreneur verse des primes dans une assurance vie. À son décès, les bénéficiaires-héritiers empochent le fruit de l'assurance, qui est non imposable, et s'en servent pour payer les impôts sur le gain en capital de l'entreprise qui leur est légué.

Idéalement, l'entrepreneur s'organise pour que ce soit l'entreprise qu'il dirige qui verse les primes plutôt que lui-même. Cette distinction se traduit par une économie d'impôt appréciable.

En effet, un riche particulier qui verserait directement des primes pour une assurance avec ses fonds personnels le ferait avec des revenus qui ont été imposés aux taux maximums de 53,3 %. Dit autrement, des primes de 5330 $, par exemple, seraient payées avec des revenus avant impôt de 10 000 $.

En comparaison, les revenus des grandes entreprises sont imposés au taux de 26,9 %. Il faut donc 7250 $ de revenus d'entreprise avant impôt plutôt que 10 000 $ pour verser les mêmes primes de 5330 $, d'où l'avantage fiscal. 

Une mécanique permet qu'au décès, le fruit de l'assurance vie, versé à l'entreprise payante, soit transféré aux héritiers-bénéficiaires sans impact fiscal (dividende en capital, non imposable).

Le seul hic de l'assurance : une entreprise qui vaut des milliards, comme celle de Serge Godin, nécessiterait le versement de très grosses primes annuelles pour accumuler suffisamment de fonds pour les impôts éventuels des héritiers.

L'EMPRUNT BANCAIRE

Enfin, troisième technique : l'emprunt bancaire pour payer les impôts sur la plus-value de l'entreprise. Simplement dit, au moment du décès du fondateur, les héritiers peuvent faire un emprunt auprès d'une banque en donnant des actions en garantie. L'emprunt qui sert à payer les impôts est remboursé au fil des ans grâce aux dividendes (ou aux gros salaires) que les héritiers obtiennent avec leurs actions.

Bref, les solutions ne sont ni simples ni magiques, mais la vaste majorité des entrepreneurs s'en prévalent pour amadouer la facture d'impôt au décès.