Il est primordial de savoir ce que coûte chacun des services de santé au Québec pour améliorer l'efficacité du système. Combien coûte une opération de la hanche ? Une colonoscopie ?

Or, incroyable, les coûts unitaires des services sont méconnus. Les hôpitaux ne s'en soucient pas vraiment, faut-il dire, puisqu'ils sont financés par le gouvernement en fonction des budgets des années précédentes et non pas selon les coûts de chaque service.

Il va de soi qu'une juste connaissance des coûts permettrait de comparer les hôpitaux entre eux et d'ajuster leur financement. Votre opération de la hanche coûte plus cher ? Désolé, le gouvernement ne finance pas plus que le coût moyen désormais.

C'est dans ce contexte que le ministre de la Santé, Gaétan Barrette, vient de lancer un projet-pilote avec trois cliniques privées. Objectif : déterminer le coût optimal des interventions chirurgicales d'un jour et s'en servir comme référence pour le système public.

L'opposition a rapidement torpillé l'initiative, critiquant la marge de profit de 10 % promise aux cliniques privées.

Selon le ministre, le recours au privé est essentiel pour déterminer les coûts de différentes interventions chirurgicales parce que les paramètres seront strictement contrôlés. Les hôpitaux publics ne sont pas outillés pour établir aussi précisément les coûts, me dit-il.

Et le ministre est clair : ces cliniques ne pourront pas sélectionner les patients et prendre seulement les cas les plus payants. Elles devront traiter la brochette de cas représentatifs envoyés par le gouvernement, légers comme lourds.

Parallèlement au projet-pilote, Gaétan Barrette a confié à la firme Logibec la responsabilité d'implanter une méthode de comptabilité uniforme et informatisée dans tous les centres hospitaliers (Med-GPS). En sachant précisément dans quelle colonne mettre quelle dépense, les hôpitaux auront des grilles de coûts comparables, ce qui permettra de juger de leur efficacité.

Les deux projets, implantés progressivement d'ici trois ans, seront combinés pour avoir un portrait plus fidèle des coûts.

« En ce moment, nos indications sont que les coûts de certaines chirurgies varient du simple au double entre certains hôpitaux », m'explique Gaétan Barrette.

« D'ici un an, avec Med-GPS, on va pouvoir comparer quotidiennement les coûts de façon précise pour 30 % des hôpitaux. Les mauvais gestionnaires ne pourront plus se cacher. »

- Gaétan Barrette, ministre de la Santé

Le modèle pourrait révolutionner le système. D'une part, Gaétan Barrette promet de laisser aux hôpitaux plus performants les gains qu'ils réaliseront en opérant plus efficacement.

D'autre part, en connaissant mieux les coûts, le gouvernement pourra éventuellement lancer des appels d'offres pour certaines opérations et ne choisir que les établissements les plus performants, publics ou privés, sous réserve de certaines contraintes régionales, notamment. Des hôpitaux pourraient éventuellement se spécialiser dans certaines interventions chirurgicales où ils excellent.

Gaétan Barrette croit ainsi pouvoir faire économiser des centaines de millions de dollars au réseau de la santé.

La porte-parole du PQ en matière de santé, Diane Lamarre, n'est pas contre ce financement à l'activité. C'est d'ailleurs son parti qui a déposé le rapport Thomson sur le sujet, en février 2014, bien que le groupe de travail ait été mandaté par le précédent gouvernement libéral, en mars 2012.

Le PQ en a toutefois contre le recours au privé. Et surtout, contre la marge de profit d'un maximum de 10 % qui leur sera offerte.

À mon avis, le PQ a tort de démoniser ces profits. Les cliniques fonctionneront à livre ouvert pour permettre au gouvernement de comprendre les coûts de fonctionnement des interventions chirurgicales. Les médecins seront payés au même tarif qu'à l'hôpital. Les cliniques ne pourront donc conserver aucun gain d'efficacité dans les coûts. Sans ces profits de 10 %, comment pourraient-elles alors rembourser leurs investissements dans les équipements et leurs risques ?

À long terme, toutefois, une marge fixe de 10 % et l'absence de réelle concurrence risquent de tuer l'innovation. Le gouvernement devra adapter son approche une fois les coûts connus et le projet pilote terminé.

COMME EN SUÈDE

Pour ma part, je suis un fervent défenseur de la mise en concurrence des prestataires de services entre eux. Ce système a été implanté avec succès dans les pays scandinaves, comme la Suède.

Les prestataires y sont privés ou publics et, oui, ils font des profits, qui deviennent une source puissante de motivation et d'efficacité. Pour les patients, une chose fondamentale ne change pas : les services sont gratuits, universels et financés par l'État. Où est le problème ?

Mais le système scandinave, pragmatique, fonctionne à certaines conditions. D'abord, les prestataires ont l'obligation de servir l'ensemble d'une population prédéterminée. Ils ne peuvent choisir seulement les cas légers et payants, par exemple.

Contrevenir à cette règle est lourd de conséquences : quand un patient est incapable de se faire servir dans son centre local dans un délai minimum et qu'il doit se rendre ailleurs, la facture est tout de même payée par le centre local. Cette exigence oblige tous les acteurs du centre à travailler en équipe et à encourager la prévention, de façon à éviter les opérations coûteuses et le recours aux urgences.

Autre élément : la rémunération du personnel médical est décentralisée, contrairement au Québec. Elle peut donc varier selon les choix de l'administration locale ou les succès du prestataire de services, en quelque sorte.

Le projet de Gaétan Barrette est imparfait et devra être amélioré, mais il pousse dans la bonne direction. Qui dans l'opposition est contre le modèle scandinave ?