Tôt ou tard, le gouvernement devra se rendre à l'évidence : le système de permis pour exploiter un taxi va finir par s'effondrer. Et dans cette tourmente, les chauffeurs qui ont payé 100 000 $ à 200 000 $ pour leur permis vont y perdre une fortune.

Le gouvernement aura beau resserrer les contrôles et pénaliser les fautifs, il ne pourra pas endiguer la vague de changements que permet la technologie. Tout comme il n'a pas été possible d'empêcher les internautes de télécharger leur musique au lieu d'acheter des disques, ou les médias de recourir aux graphistes plutôt qu'aux typographes.

Le débat sur Uber doit être vu dans une perspective plus large.

Au lieu de maintenir le statu quo, le gouvernement et l'industrie du taxi doivent penser à une réforme en profondeur pour minimiser les dégâts.

Ils doivent agir avant que les permis ne valent plus rien.

La nature des problèmes de l'industrie est double : la réglementation est trop lourde et le système des permis est dépassé.

Il est tout à fait injuste qu'une entreprise comme Uber puisse concurrencer une industrie sans se conformer aux règles et sans payer ses taxes et impôts. Le gouvernement doit donc imposer à cette organisation des règles semblables à toute l'industrie concernant la sécurité, l'entretien des véhicules, les taxes, etc.

Une réglementation uniforme allégée ne réglera toutefois pas l'aspect le plus problématique, et de loin, soit l'impact des changements sur la valeur des permis de taxi.

Le nombre de permis en circulation, faut-il savoir, est rigoureusement contrôlé. À Montréal, il y a quelque 4400 permis. Ces permis sont détenus par les chauffeurs dans une proportion d'environ 60 % et par des exploitants à 40 %. Dans l'ensemble du Québec, c'est 8500 permis, dont la valeur dépasse certainement le milliard de dollars actuellement.

Le contrôle strict a permis aux chauffeurs de conserver un certain volume de travail et à maintenir le prix des permis, qui constituent parfois l'investissement d'une vie. Par contre, ce bouclier contre la concurrence explique pourquoi la qualité du service a stagné pendant des années.

Or, l'arrivée de nouveaux acteurs comme Uber augmente l'offre de services et fait pression à la baisse sur les prix des permis. À Toronto, par exemple, un permis pouvait se vendre 360 000 $ en 2012. Avec l'arrivée d'Uber et le changement des règles, le prix a reculé à 100 000 $ en 2014 et aujourd'hui, on en trouve à 80 000 $ sur le marché.

Avant d'en arriver là, le gouvernement du Québec devrait préparer une transition et réduire significativement le nombre de permis d'ici 10 ans.

Diminuer le nombre de permis et passer en libre concurrence n'est pas chose facile, cependant, constatent les cinq économistes et financiers à qui j'ai parlé.

Certes, nombre de chauffeurs ont payé le gros prix pour acheter leurs permis, s'endettant lourdement auprès de Fintaxi, propriété du Fonds FTQ, entre autres. Il est donc souhaitable qu'ils reçoivent une forme de compensation, mais quel prix doit-on payer et, plus encore, qui doit payer ?

En cédant aux chauffeurs des permis et en créant un marché, les gouvernements leur ont-ils donné une forme de garantie d'exploitation à long terme ? Ce faisant, perdront-ils les éventuelles poursuites devant les tribunaux ?

Selon mon collègue Denis Lessard, le gouvernement Couillard envisage d'imposer une redevance aux chauffeurs d'UberX, par exemple 260 $ par semaine. Cette redevance serait équivalente aux frais que paient certains chauffeurs de l'industrie qui louent un permis auprès des détenteurs.

Le problème avec cette redevance, c'est qu'elle augmentera le nombre officiel de véhicules autorisés sur les routes. Or, ce bond de l'offre contribuerait à faire diminuer le prix des 8500 permis existants.

De plus, la redevance ne pourra rien contre les nouveaux services. Par exemple, Facebook s'apprête aussi à offrir des services de covoiturage. Et d'autres initiatives pourraient émerger.

L'entrepreneur Alexandre Taillefer propose de faire financer le rachat d'un certain nombre de permis par une redevance imposée à Uber de l'ordre de 1,10 $ par course. Par ailleurs, il assouplirait la réglementation pour permettre une tarification variable selon les périodes de pointe, mais encadrerait les tarifs entre 50 % et 200 % du tarif déjà prévu.

L'économiste Michel Poitevin, de l'Université de Montréal, financerait lui aussi le rachat et l'abolition de permis par une redevance, mais elle serait imposée à tous les chauffeurs et non seulement à ceux d'Uber.

Cette solution aurait l'avantage de financer plus rapidement le fonds. Par contre, elle ne freinerait pas la concurrence déloyale des chauffeurs d'Uber, qui n'ont pas à payer les 260 $ de location de permis par semaine pour fonctionner, entre autres.

Pour ma part, j'imposerais une redevance par course à tous pour financer le fonds, mais la redevance serait plus élevée pour les chauffeurs Uber.

Les détenteurs de permis restants conserveraient l'exclusivité des courses hélées sur rue, des courses prises à un poste d'attente, de même que du transport médical et adapté, tel que le propose Alexandre Taillefer.

Il n'y a pas de solution simple, mais chose certaine, le Québec doit se préparer à changer de modèle.