En investissant dans la C Series de Bombardier, le gouvernement du Québec jette-t-il son argent par les fenêtres ?

En marge des résultats de Bombardier, mercredi, j'en ai appris plus sur les conditions qui lient l'entreprise au gouvernement du Québec. Et ces conditions sont non négligeables.

D'abord, avant de verser son milliard de dollars US, le gouvernement du Québec a exigé que l'entité dans laquelle seront versés les fonds, soit la société en commandite C Series, dispose déjà de liquidités oscillant entre 1,3 et 1,6 milliard CAN.

Ces liquidités ou équivalents de liquidités doivent avoir été versés le ou avant le 1er avril, date prévue du premier des deux versements de 500 millions US du gouvernement. Le deuxième versement de 500 millions du gouvernement est prévu le 30 juin.

Idéalement, l'argent viendrait du gouvernement fédéral ou d'un partenaire qui injecterait du capital dans l'entreprise, plutôt qu'un prêt. Cette injection de capital rendrait l'entreprise nettement plus solide, puisqu'elle pourrait alors emprunter des fonds, augmentant ainsi d'autant les liquidités et les chances de succès du programme C Series. Bombardier, le Québec et le fédéral auraient alors chacun le tiers des parts de la société en commandite nouvellement créée.

L'entente serait d'ailleurs assortie d'une condition à cet égard : pas question que le fédéral se voie attribuer un rang prioritaire sur les actifs de la société C Series par rapport au Québec, advenant des difficultés financières. Dit autrement, le Québec n'accepterait pas que le fédéral offre un prêt garanti alors que le Québec verserait du capital. Le prêt garanti, faut-il savoir, donne une priorité sur les créances, advenant une faillite, alors que le capital injecté est bien souvent totalement perdu.

Si l'argent ne vient pas du fédéral, les liquidités de 1,3 à 1,6 milliard CAN pourraient prendre la forme d'une garantie bancaire, provenant d'une institution financière. Elles pourraient également être injectées directement par Bombardier.

Le 11 février, Bombardier a d'ailleurs reçu 1,5 milliard US (environ 2,0 milliards CAN) de la Caisse de dépôt et placement du Québec. Cet argent pourrait servir, en tout ou en partie, à respecter les conditions imposées par Québec sur les liquidités de la société C Series.

En contrepartie de son injection, rappelons-le, la Caisse a obtenu une participation de 30 % dans la division des trains de l'entreprise, essentiellement. La Caisse n'aura pas d'emprise directe sur le développement de la C Series.

Selon mes renseignements, Bombardier doit déjà transférer des actifs tangibles et intangibles dans la coquille C Series, par exemple l'usine de Mirabel, évaluée à 411 millions US, et les brevets du programme d'avion. L'entreprise s'affaire d'ailleurs à extraire ces actifs de Bombardier inc., une tâche juridique imposante.

En contrepartie de son injection de 1 milliard US, Québec ne se contente donc pas de ces transferts d'actifs, il exige aussi des liquidités. Au bout du compte, la société C Series disposerait ainsi d'environ 2,0 milliards US (2,8 milliards CAN) de liquidités, soit une somme suffisante pour se rendre en 2020, moment où le programme C Series devrait commencer à dégager des flux positifs, c'est-à-dire à être rentable.

Mercredi, au moment de l'annonce des résultats, Bombardier a justement précisé qu'il fallait injecter 2,0 milliards US de liquidités d'ici 2020 dans la C Series. L'entreprise a espoir d'augmenter son carnet de commandes d'ici là et de diminuer les coûts d'assemblage de chaque avion, ce qui assurerait la rentabilité. Certains estiment qu'il faudra vendre entre 500 et 800 avions avant d'atteindre le point mort, alors que le carnet de commandes est aujourd'hui de 288 avions.

Chez Bombardier, la porte-parole Isabelle Rondeau indique que les discussions avec le gouvernement se poursuivent. « L'entente sera rendue publique lorsqu'elle sera clôturée », a déclaré la porte-parole Isabelle Rondeau.

Quoi qu'il en soit, ces renseignements nous permettent de mieux cerner la nature des garanties exigées par le gouvernement du Québec, en plus du maintien du siège social de la C Series.

Les négociations ne sont pas terminées, cependant, et il est bien possible que les deux parties doivent mettre de l'eau dans leur vin, sans compter que la participation du fédéral n'est pas acquise. Des nouvelles à ce sujet sont attendues avant le prochain budget fédéral, prévu pour la deuxième moitié de mars.

Selon Isabelle Rondeau, l'entente avec Québec devrait être conclue au deuxième trimestre, soit entre avril et juin. Les probabilités sont donc fortes pour que soit dépassée l'échéance proposée du 1er avril pour le premier versement du gouvernement du Québec.