On ne dira jamais assez l'importance de la nationalité des patrons d'une entreprise pour l'emplacement du siège social. Ou du moins de leur lieu de résidence. C'est particulièrement vrai au Québec, qui a perdu nombre de sièges sociaux ces dernières années.

J'ai donc poussé un soupir de soulagement quand j'ai appris qui serait le nouveau chef des finances de la multinationale Alimentation Couche-Tard, de Laval. Lundi, Couche-Tard a annoncé l'embauche du Québécois Claude Tessier comme nouveau chef de la direction financière. Il s'agit du deuxième gestionnaire en importance chez Couche-Tard.

Pourquoi cette frousse ? Parce qu'en septembre 2014, c'est un Américain qui a remplacé Alain Bouchard à titre de PDG de Couche-Tard. L'homme en question, Brian Hannasch, habite en Indiana, à 1360 kilomètres de Laval, bien qu'il ait maintenant une résidence à Montréal.

Puis, il y a trois mois, le chef des finances, Raymond Paré, a quitté l'entreprise, après 13 ans de services. S'il avait fallu qu'il soit remplacé par un autre Américain, à la demande de M. Hannasch, par exemple, on aurait pu s'interroger sur la pérennité du siège social lavallois à moyen ou à long terme.

Certes, les quatre actionnaires fondateurs de Couche-Tard, Alain Bouchard en tête, sont québécois et conservent le contrôle, grâce à des actions à droit de vote multiple. De plus, le conseil d'administration est essentiellement composé de Québécois.

Toutefois, une clause transformera les titres à droit de vote multiple en actions ordinaires à un seul vote lorsque les quatre fondateurs atteindront l'âge de 65 ans. Or, trois des quatre dirigeants ont atteint le cap des 65 ans.

En septembre, Couche-Tard a proposé aux actionnaires de changer cette clause, leur demandant de ne pas activer la transformation tant que l'un des quatre fondateurs siégera au conseil. Finalement, la proposition n'a pas été soumise au vote des actionnaires.

Couche-Tard n'est pas une « binerie ». Aujourd'hui, la capitalisation boursière de l'entreprise atteint 34,2 milliards de dollars CAN, l'une des plus importantes au Canada. Ses ventes s'élèvent à environ 50 milliards CAN. Quelque 100 000 employés travaillent dans le réseau de Couche-Tard dans le monde, dont les dépanneurs s'appellent maintenant Circle K à l'extérieur du Québec. Les ventes sont réalisées aux États-Unis dans une proportion de 58 %.

Le déménagement d'un siège social est souvent insidieux. Pensez à BCE. Petit à petit, Toronto a accueilli les plus importantes fonctions de son siège social. Et aujourd'hui, qui peut dire que le siège social de cette entreprise de télécommunication est encore à Montréal, alors que ses principaux dirigeants travaillent de Toronto ?

Bien sûr, il faut les plus compétents à la tête de nos organisations, ce que ne manquent pas d'exiger les actionnaires. Et bien sûr, la nomination d'anglophones compétents de l'extérieur à la tête d'entreprises québécoises enrichit nos organisations et n'entraîne pas automatiquement le déplacement éventuel du siège social. Qu'on mentionne Michael Roach, chez CGI, ou Neil Bruce, chez SNC-Lavalin.

N'empêche, l'argument de la compétence est trop souvent utilisé pour disqualifier les francophones. À l'exemple des femmes, quoique dans une moindre mesure, les Québécois sont encore sous-représentés au sein des conseils d'administration, bien que le Québec regorge de dirigeants talentueux.

Vous en doutez ? Selon un coup de sonde de mon collègue André Dubuc, les francophones ne représentent que 6 % des administrateurs des principales entreprises canadiennes hors Québec, même si ces organisations ont une grosse proportion de leurs affaires au Québec.

Selon moi, la proximité culturelle et les réseaux jouent encore pour beaucoup dans le choix du personnel clé d'une organisation. Pensez aux Québécois qui dirigent au hockey dans la LNH et qui puisent dans le bassin québécois pour s'entourer. Ou à l'impact du couple Angélil-Dion, qui a propulsé les travailleurs québécois du spectacle.

L'argument vaut aussi pour nos entreprises. Chez Couche-Tard, des cadres apparemment sans envergure, qui géraient un réseau de dépanneurs Perrette, se sont progressivement hissés à la tête d'un géant. Certains y ont fait leurs classes et occupent aujourd'hui des postes stratégiques ailleurs.

En plus des réseaux, de même que de la formation et de l'ambition des dirigeants, le régime fiscal joue aussi un rôle. Des taux d'imposition au Québec qui diffèrent trop de ceux d'ailleurs ne feraient rien pour aider.

Bref, bien heureux de voir arriver Claude Tessier chez Couche-Tard ! On ne peut que lui souhaiter bon succès, pour le bénéfice des actionnaires... et des Québécois.

PRÉCISION PRÉVOST CAR

Des lecteurs m'ont souligné avec raison que l'entreprise Prévost Car est située dans la MRC de Bellechasse et non dans celle de Beauce, comme je l'ai écrit dans ma chronique du 26 janvier. Les deux MRC sont dans la région administrative de Chaudière-Appalaches. Désolé.