En principe, la transaction entre Bombardier et la Caisse de dépôt et placement apparaît impeccable. En pratique, on peut se demander si elle sera contestée devant les tribunaux, éventuellement.

Les questions litigieuses pourraient être soulevées par les prêteurs de Bombardier, qui ont avancé plusieurs milliards. Ces détenteurs d'obligations, comme on les appelle, pourraient invoquer que la transaction leur porte préjudice et poursuivre pour oppression, selon deux avocats à qui nous avons parlé.

Voyons voir. Essentiellement, la transaction a pour effet de vider l'entreprise Bombardier d'environ la moitié de ses actifs, ceux de la division des trains. Ces actifs sont transférés dans une filiale, BT Holdco. Le hic, c'est que la dette des prêteurs ne suit pas.

Cette absence de dette dans BT Holdco est justement l'un des éléments qui rassurent la Caisse de dépôt dans son investissement dans BT Holdco. Pas de dette, moins de risque. En revanche, comment peuvent se sentir les prêteurs de Bombardier à qui l'on retire la moitié de l'actif ?

Son de cloche semblable d'Avram Fishman, celui-là même qui avait défendu en cour les porteurs d'obligations mécontents dans la transaction de BCE-Teachers', qui a finalement avorté. « Il est effectivement possible que les droits des détenteurs d'obligations soient affectés négativement par ce transfert d'actifs dans la filiale », dit l'avocat, qui précise ne pas avoir lu les documents de la transaction.

Dans la transaction, la Caisse de dépôt obtient essentiellement 30 % de BT Holdco et Bombardier, 70 %.

Il faut savoir qu'advenant une faillite de Bombardier, les prêteurs seraient remboursés en priorité sur les autres (actionnaires, etc.). Leur remboursement viendrait de la vente des actifs de Bombardier. Or, le transfert de la moitié des actifs réduit la portée de cette garantie, selon M. Renno.

Certes, en échange, ces prêteurs mettraient la main sur les actions que détiendrait Bombardier dans BT Holdco (les 70 % d'actions). Et indirectement, donc, ils continueraient d'avoir des droits sur les actifs liés aux trains.

Toutefois, non seulement ce droit sur les actions est moins avantageux que celui sur les actifs des trains directement, mais aussi, en cas de faillite, les prêteurs seraient soumis aux contraintes de gestion négociées par la Caisse.

En effet, la Caisse a obtenu un droit de veto sur le budget de BT Holdco, le plan stratégique, la rémunération du PDG, la nomination du président du conseil et le versement de tout dividende au-delà de 200 millions, entre autres. Elle nommera en plus trois représentants au conseil de BT, qui en comptera sept.

Bref, la structure de la transaction est délicate et prête flanc aux contestations juridiques.

Au Canada, la loi stipule que toutes les parties intéressées à une organisation - actionnaires, employés et détenteurs de dettes - doivent être traitées équitablement.

« Un juge pourrait conclure que la nouvelle structure [découlant de la transaction] a un effet inéquitable pour les détenteurs de dettes. Ce serait inéquitable si la transaction change les attentes légitimes qu'avaient des prêteurs au moment d'avancer les fonds. Un recours en oppression pourrait même bloquer la transaction, avec une ordonnance de sauvegarde et une injonction », explique M. Renno.

Dans la transaction BCE-Teachers', la Cour suprême a d'ailleurs précisé que le conseil d'administration se devait de considérer les intérêts de toutes les parties intéressées, dont les prêteurs, et pas seulement ceux des actionnaires.

Cela dit, les tribunaux sont réticents à s'immiscer dans les décisions des conseils d'administration. 

La Cour suprême n'a d'ailleurs pas donné raison aux détenteurs d'obligations (prêteurs) dans le dossier BCE-Teachers', même si elle leur reconnaît un droit.

De plus, il faut dire que Bombardier recevra tout de même 2,0 milliard de dollars de capital en échange de la cession des actifs de trains à BT Holdco, ce qui a pour effet de rassurer les prêteurs.

SOIXANTE AVOCATS SUR LE DOSSIER

La Caisse et Bombardier nous disent avoir minutieusement structuré la transaction. Une trentaine d'avocats canadiens et internationaux de la Caisse - et autant chez Bombardier - ont travaillé sur le dossier et jugé qu'elle passait le test à tous les égards, notamment à ce sujet.

Chez Bombardier, on soutient qu'il n'y a pas d'enjeu autour de cette question, « puisque Bombardier Transport ne sort pas du giron de Bombardier ».

À la Caisse, on affirme que la plupart des détenteurs d'obligations de Bombardier sont américains et que leurs actes de fiducie avec Bombardier, scrutés par les avocats, permettent ce genre de transfert d'actifs sans autorisation préalable.

Karim Renno croit que la transaction pourrait tout de même être contestée. Prudent, Avram Fishman ne veut pas spéculer. Ni la Caisse ni Bombardier n'ont voulu nous fournir les actes de fiducie, confidentiels.

Le dossier est à suivre, donc. Surtout si la situation se dégrade, ce que personne ne souhaite.