Maintenant que le gouvernement fédéral de Justin Trudeau est lui aussi sollicité pour aider Bombardier, une question se pose: jusqu'à quel point l'État peut-il aider une entreprise privée sans provoquer de concurrence déloyale? L'aide à Bombardier contrevient-elle aux règles internationales?

En principe, les traités internationaux de libre-échange proscrivent les subventions gouvernementales, question de laisser les entreprises se concurrencer librement. En pratique, cependant, un État peut aider ses entreprises exportatrices, mais les formes d'aide sont strictement encadrées.

Nul doute que les gouvernements du Québec et du Canada connaissent bien ces règles et les analysent soigneusement avant d'avancer des fonds. Cela explique probablement pourquoi le gouvernement du Québec a choisi d'injecter 1 milliard US en capital-actions plutôt qu'autrement, bien que cette injection pourrait aussi être contestée.

D'ailleurs, mardi, un haut dirigeant du concurrent brésilien Embraer s'est dit préoccupé par l'appui financier du gouvernement du Québec à Bombardier.

Un des principaux guides en la matière est l'Accord sur les subventions et les mesures compensatoires, signé par les pays membres de l'Organisation mondiale du commerce (OMC). Cent soixante et un pays sont membres de l'OMC, parmi lesquels se trouvent les principaux pays où sont fabriqués des avions tels les États-Unis (Boeing), la France (Airbus), le Brésil (Embraer) et, bien sûr, le Canada (Bombardier). Les accords de l'OMC sont entrés en vigueur en 1995 (son ancêtre, le GATT, existe depuis 1948).

Voyons voir ce que dit ce chapitre sur les subventions et les mesures compensatoires.

D'abord, l'accord interdit essentiellement toute subvention à une entreprise qui aiderait cette dernière dans ses exportations.

L'Accord parle de «subventions subordonnées aux résultats à l'exportation» et donne des exemples précis. Par exemple, en plus des subventions directes, l'accord interdit aux pouvoirs publics d'offrir aux entreprises des baisses d'impôts bénéficiant spécifiquement aux produits exportés, des programmes d'assurance du crédit à l'exportation ou encore des intrants à prix de faveur pour les produits exportés.

Un prêt du fédéral?

Les prêts des gouvernements sont aussi visés. Essentiellement, ces prêts sont autorisés, mais ils ne doivent pas donner d'avantages au bénéficiaire par rapport aux prêts du secteur privé. L'avantage serait la différence entre ce que paierait l'entreprise au gouvernement et ce qui aurait pu être versé aux prêteurs privés, mesuré par l'écart de taux d'intérêt, par exemple.

Dit autrement, Bombardier n'aurait pas intérêt à quémander un prêt au gouvernement fédéral ou provincial, puisque l'entreprise devrait alors payer le même taux qu'au secteur privé, au risque d'être sanctionnée. Déjà, le fort endettement de Bombardier l'oblige à payer un taux d'intérêt relativement élevé sur ses emprunts, puisque les prêteurs jugent plus risquée une entreprise qui est très endettée et dont les liquidités courantes sont faibles.

Il reste donc une participation au capital-actions de l'entreprise, essentiellement. Mais encore là, ce genre d'intervention pourrait être contesté. En vertu de l'accord de l'OMC, une telle injection est possible, à la condition qu'elle soit conforme à la «pratique habituelle des investisseurs privés». La question: quelle est donc la pratique habituelle du privé?

Bombardier a cherché - et cherche encore - des partenaires privés pour son projet C Series, mais en vain. Elle a même approché son principal concurrent, Airbus, qui exigeait une participation majoritaire dans le projet. La transaction a avorté au début d'octobre.

«Le privé aurait-il fait une chose équivalente au gouvernement du Québec? C'est défendable, mais ça pourrait aller d'un côté comme de l'autre. Ce sera probablement contesté, à mon avis», dit le professeur Rémi Bachand, du département des sciences juridiques de l'UQAM.

Dès lors, il faut se demander quel genre d'intervention pourrait faire le fédéral sans provoquer de contestations. Une injection de 1 milliard US donnerait probablement au fédéral le tiers des parts de la société en commandite C Series, tandis que le gouvernement du Québec et Bombardier se partageraient les deux autres tiers.

Ce faisant, les gouvernements provincial et fédéral se retrouveraient majoritaires (66%). Est-ce spécifiquement interdit par l'OMC? «À première vue, une participation majoritaire des gouvernements ne semble pas problématique au regard des règles de l'OMC», dit M. Bachand.

Patrick Leblond, professeur d'économie internationale à l'Université d'Ottawa, ne croit pas que la participation du gouvernement au capital-actions de Bombardier posera problème.

«Pour le gouvernement, le but n'est pas de faire une concurrence déloyale, par exemple de faire baisser le prix des avions vendus, mais d'aider l'entreprise à terminer le programme. Et selon moi, majoritaire ou minoritaire, ça ne change pas grand-chose», dit-il.

Patrick Leblond donne l'exemple de certaines entreprises étrangères qui fonctionnent sans violer les règles en dépit d'une participation de l'État. En 2012, par exemple, la société d'État chinoise CNOOC a acquis le producteur de pétrole privé canadien Nexen pour la somme de 15,1 milliards sans être contestée.

Enfin, une participation ou un prêt de la Caisse de dépôt et placement du Québec ne serait vraisemblablement pas considéré comme une aide gouvernementale, puisque la Caisse n'est pas une société d'État, mais plutôt un organisme qui gère des fonds de retraite pour des clients, essentiellement. «Une contestation serait surprenante», dit Rémi Bachand.

Bref, la ligne est mince pour les gouvernements.