Imaginez le message pour les clients. Imaginez l'impact. «Le gouvernement du Canada annonce qu'il met lui aussi 1 milliard de dollars pour soutenir la C Series de Bombardier.»

Une telle annonce aurait un effet massue, plus important que les seules sommes avancées. Du coup, les clients éventuels de Bombardier seraient rassurés sur l'avenir de l'entreprise et son programme C Series. Du coup, ils sauraient que Bombardier serait en mesure d'assurer le service à la clientèle et la livraison des avions placés en option. Du coup, ils ne seraient plus réticents à former leurs équipages aux normes de la C Series.

En principe, c'est vrai, les gouvernements ne devraient pas s'immiscer dans les affaires du privé, sauf exception. Le gouvernement gère mal le risque d'affaires, puisque les ministres ne misent pas leur propre argent, ni celui des actionnaires exigeants, mais les fonds des contribuables. Les politiciens sont aussi motivés par des impératifs politiques plutôt que de rentabilité, ce qui influence leurs décisions.

Quand les gouvernements injectent des fonds publics dans le privé, ils diminuent le prix réel des biens subventionnés, ce qui incite les clients-consommateurs à le surconsommer. Cet avantage accordé à un groupe privé particulier nuit à l'intérêt général, puisque ces fonds publics auraient été dépensés plus judicieusement ailleurs par les contribuables. C'est sans compter que cet engagement public crée une concurrence déloyale.

Ce principe explique pourquoi les règles internationales du libre commerce sont si restrictives à l'endroit des injections de fonds publics. Les subventions - non remboursables - sont généralement proscrites, et les prêts et les participations sont encadrés.

En dépit de ces règles, les gouvernements trouvent toutes sortes de façons de venir en aide à leurs entreprises. C'est particulièrement le cas dans le secteur aéronautique.

Selon le rapport Examen de l'aérospatiale, publié en novembre 2012, les principaux constructeurs que sont Airbus (France) ou Boeing (États-Unis) bénéficient largement de l'appui de leurs gouvernements. Les Américains financent jusqu'à 62% de la recherche et développement (R-D) d'un nouvel avion et les Français, 27%. Au Canada, cette proportion n'est que de... 16%.

Autrement dit, Bombardier subit une concurrence déloyale avec son programme C Series, dont l'essentiel des fonds investis peut être considéré comme de la R-D. «Un milliard de dollars du gouvernement, ce n'est pas la fin du monde, croit le professeur de HEC Montréal, Jacques Roy, qui a participé à la rédaction du rapport. Même les économistes les plus à droite croient qu'il faut faire une exception pour l'aéronautique en ce qui concerne l'injection de fonds publics.»

Ce constat milite donc pour un appui tangible du gouvernement fédéral. D'autant plus que le fédéral ne s'est pas gêné pour venir en aide aux constructeurs automobiles Chrysler et GM, en Ontario, dans la foulée de la crise financière de 2008. Ottawa avait injecté 9,2 milliards dans les deux entreprises et l'Ontario, 4,6 milliards.

Selon The Globe and Mail, Bombardier aurait approché le gouvernement Harper, l'été dernier, pour lui demander un soutien additionnel de 350 millions de dollars. Le dossier tombe maintenant entre les mains du nouveau gouvernement libéral, dont le chef, Justin Trudeau, est député d'une circonscription située au coeur de Montréal.

L'appui financier des gouvernements pour mener le projet à terme, jumelé à la radiation de 3,2 milliards US de dépenses annoncée hier par Bombardier pour la C Series, permettrait à l'entreprise d'offrir des prix plus attrayants pour ses avions et d'être plus concurrentielle.

Cela étant dit, il faut être réaliste: la partie ne sera vraiment pas facile. Le PDG, Alain Bellemare, estime que les avions C Series ne seront pas rentables avant 2021. Et bien des analystes financiers sont pessimistes.

Par exemple, l'analyste Turan Quettalawala, de Scotia Capital, craint que les avions C Series intéressent une niche trop petite d'acheteurs (de 110 à 160 places) et que l'essentiel des commandes du cycle actuel ait déjà été placé. Il juge très probable un éventuel nouveau plan de sauvetage gouvernemental.

Il faudra donc être patient et espérer que les nouveaux paramètres financiers du programme C Series permettront à l'entreprise de décrocher les contrats attendus de United Airlines, par exemple, ou peut-être d'Air Canada. Et se poser une question essentielle: jusqu'à quand et à quelle hauteur les gouvernements devraient-ils appuyer l'entreprise?

Part du financement gouvernemental dans le développement d'un nouvel avion

(proportion des fonds publics dans la R-D)

> États-Unis 62%

> Allemagne 39%

> France 27%

> Royaume-Uni 21%

> Canada 16%

Source: rapport Examen de l'aérospatiale, gouvernement fédéral, 2012