Maintenant qu'il est élu, Justin Trudeau doit remplir ses promesses. Or, si tel est le cas, le déficit annuel d'un gouvernement libéral pourrait être de 5 milliards de plus que prévu. Voici pourquoi.

Essentiellement, quatre éléments contribueront à rendre les finances du gouvernement libéral plus rouges: le ralentissement économique, le Partenariat transpacifique, le pont Champlain et l'imposition des options d'achat d'actions.

En vertu de son cadre financier, le gouvernement libéral prévoit un déficit de 9,9 milliards au cours de la première année financière complète (2016-2017) et de 9,5 milliards l'année suivante (2017-2018). Les troisième et quatrième années se solderaient par un déficit de 5,7 milliards et un surplus de 1,0 milliard.

Les quatre éléments énoncés ci-dessus feront grimper ces déficits annuels de 4,0 à 5,4 milliards par an (moyenne de 5,0 milliards), selon mes estimations. Par exemple, en 2017-2018, le déficit friserait les 15 milliards de dollars, plutôt que 9,5 milliards.

Voyons voir. D'abord, pour atteindre ses projections de déficits, le Parti libéral se base sur une croissance économique réelle de 1,0% en 2015, puis de 2,7% en 2016. Ces prévisions sont tirées d'une analyse réalisée en juillet par le Directeur parlementaire du budget (DPB), une source indépendante.

Or, le produit intérieur brut (PIB) du Canada ne croîtra pas de 2,7% en 2016, prévoient maintenant les économistes. La Banque Nationale parle de seulement 1,6%, le Fonds monétaire international (FMI), de 1,7% et le Mouvement Desjardins, de 1,8%. Mercredi, la Banque du Canada a révisé ses prévisions à la baisse, avec une croissance de 2,0%.

Autrement dit, les projections libérales sont entre 0,7 et 1,1 point de pourcentage trop optimistes pour l'an prochain. Les années suivantes sont relativement conformes aux prévisions.

«La croissance sera plus lente en raison de la faiblesse du prix des ressources. De plus, le passage d'une économie du pétrole de l'Ouest à une économie manufacturière exportatrice prend un certain temps», dit l'économiste Jean-Pierre Aubry, qui prévoit donc un déficit plus imposant que prévu.

Les conséquences sur les finances publiques de ce premier des quatre éléments est simple à estimer. À chaque budget, le ministère fédéral des Finances indique jusqu'à quel point une baisse de la croissance économique réelle d'un point de pourcentage fait augmenter le déficit. En se basant sur cette analyse de sensibilité, on peut estimer que le déficit sera plus élevé de quelque 4,2 milliards par an, en moyenne, au cours des quatre prochaines années.

Pont Champlain et PTP

Deuxième élément contribuant à la hausse du déficit: le pont Champlain. Les libéraux ont promis de ne pas imposer le péage proposé par les conservateurs. Ils devront donc financer le manque à gagner autrement, mais cet aspect est absent de leur cadre financier.

Selon une étude du DPB, un péage de 2,40$ pour traverser le pont aurait rapporté 4,4 milliards de dollars sur 30 ans, soit près de 150 millions par an. Cette somme viendra donc gonfler le déficit prévu, à moins d'une hausse des impôts.

Troisième élément: le Partenariat transpacifique. Justin Trudeau a indiqué qu'il compte lire les documents avant de se prononcer sur cette entente de libre-échange entre 12 pays. Compte tenu de l'ampleur des enjeux pour le Canada et des négociations ardues depuis 10 ans, il serait surprenant que les libéraux y renoncent.

Rappelez-vous que Jean Chrétien avait promis de reconsidérer l'accord de libre-échange avec les États-Unis, en 1993. Une fois au pouvoir, il n'en a rien fait.

Avec le Partenariat transpacifique, les conservateurs ont prévu dédommager certains agriculteurs, notamment les producteurs laitiers. La compensation passe de 52 millions en 2016-2017 et à 325 millions en 2019-2020. Encore une fois, cette somme imprévue par les libéraux viendra gonfler le déficit.

Options d'achat d'actions

Enfin, le quatrième élément concerne la révision promise des dépenses fiscales. Le clan Trudeau prévoit récupérer jusqu'à 3 milliards lors de la quatrième année, notamment 562 millions en imposant les options d'achat d'actions dont bénéficient quelque 8000 riches Canadiens. Actuellement, ces options sont imposées seulement à 50%.

Or, l'économiste Jack Mintz estime qu'en imposant ainsi les options, les libéraux ne récolteront pas un sou. Au contraire, ils pourraient même perdre 12 millions par an!

Essentiellement, M. Mintz croit que si les options sont pleinement imposées entre les mains des particuliers, les entreprises exigeront de pouvoir les déduire de leurs revenus, question d'équité avec les autres formes de rémunération. Actuellement, les entreprises ne déduisent rien du tout, contrairement à ce qui est le cas aux États-Unis.

Sans cette déduction, les entreprises se tourneront vers une autre forme de rémunération, croit Jack Mintz. Avec ou sans déduction, donc, le gain budgété par les libéraux disparaîtrait, selon M. Mintz, créant ainsi un manque à gagner à leur cadre financier.

Par ailleurs, le plan d'investissement dans les infrastructures pourrait donner du tonus à l'économie et amoindrir les conséquences des difficultés économiques mondiales sur les finances canadiennes. Toutefois, «le stimulus est contrebalancé par l'effet économique néfaste de l'augmentation prévue des contributions des employeurs et des travailleurs au Régime de pensions du Canada», fait valoir l'économiste principal de la Banque Nationale, Krishen Rangasamy.

Bref, les déficits du gouvernement libéral risquent d'être passablement plus élevés que prévu. À moins, bien sûr, que l'équipe de Justin Trudeau renonce à certaines promesses coûteuses ou en reporte l'adoption.